La Liste De Schindler
proposa aussitôt de lui allouer une partie de ses réserves de nourriture… Mais il faudrait trouver une raison valable pour permettre à Steinberg de venir régulièrement à Brinnlitz. Il n’aurait qu’à prétendre qu’il avait besoin de secours médicaux que lui donneraient les quatre médecins affectés au dispensaire du camp.
Grâce à ce subterfuge, Steinberg put se rendre deux fois par semaine à Brinnlitz pour y embarquer certaines quantités de pain, de semoule, de pommes de terre et de cigarettes. Quand Schindler se trouvait près de la réserve de vivres au moment de son arrivée, il faisait semblant de regarder ailleurs.
Steinberg n’a jamais su exactement le tonnage de provisions récupérées de cette manière, mais il affirma que sans cela, au moins cinquante prisonniers du camp de la Luftwaffe seraient morts au cours de l’hiver.
Une autre opération, presque aussi étonnante que celle qui permit à quelques milliers de prisonniers de quitter Auschwitz, aboutit au sauvetage de cent vingt prisonniers de Goleszow, une fabrique de ciment appartenant à l’entreprise SS Terre et Pierre située à l’intérieur d’Auschwitz 3. L’évacuation d’Auschwitz battait son plein au cours du mois de janvier 1945. Les gens de Goleszow se retrouvèrent dans des wagons à bestiaux, et, si leur évacuation s’effectua dans des conditions aussi épouvantables que pour les autres détenus, au moins certains purent-ils s’en tirer.
La plupart des déportés d’Auschwitz étaient sur les routes à cette époque. Dolek Horowitz avait été expédié à Mauthausen tandis que le jeune Richard restait sur place avec un groupe d’enfants. Les Russes, qui allaient les délivrer un peu plus tard, après que les SS eurent évacué le camp, témoigneront à juste titre que ces enfants avaient été utilisés pour des expériences médicales. Henry Rosner et Olek (alors âgé de neuf ans, mais qui apparemment ne servait plus à rien en tant que cobaye) durent faire une marche forcée de près de cinquante kilomètres. Ceux qui ne pouvaient pas suivre étaient immédiatement fusillés. Arrivés à Sosnowiec, on les embarqua dans des wagons. Un garde SS censé faire le tri des enfants et des adultes prit sur lui de laisser Olek avec Henry. Les wagons étaient tellement bondés que les prisonniers durent rester debout, tassés les uns contre les autres. Sitôt que l’un d’entre eux mourait de froid ou de soif, un prisonnier suspendait le cadavre dans sa couverture à des crocs de boucher fixés au toit. Cela faisait de la place pour les survivants. Henry eut l’idée de suspendre ainsi Olek en lui faisant une espèce de sangle avec sa couverture. Le gamin voyageait ainsi plus confortablement et, juché sur son perchoir, il pouvait à chaque arrêt crier aux Allemands qui se trouvaient sur les quais d’envoyer des boules de neige à travers les grilles d’aération. Les prisonniers, mourant de soif, se disputaient les fragments qui parvenaient à l’intérieur.
Le train roula pendant sept jours, jusqu’à Dachau. A l’arrivée, la moitié des prisonniers du wagon des Rosner étaient morts. Quand on ouvrit les portes, plusieurs cadavres roulèrent sur le ballast. Olek, sitôt descendu, se précipita sous le wagon pour décrocher un morceau de glace qu’il se mit à lécher avidement. C’est ainsi qu’on voyageait en Europe au cours de ce mois de janvier 1945.
Pour les prisonniers de Goleszow, ce fut encore pire. La feuille de route des deux wagons, conservée dans les archives de Yad Vashem, indique que les prisonniers voyagèrent pendant plus de dix jours sans aucune nourriture, les portes des wagons scellées par le gel. R…, un gamin de seize ans, se rappelle qu’ils essayaient de détacher la glace qui se formait sur les parois pour apaiser leur soif. On ne les laissa même pas sortir à Birkenau. On exécutait à tout-va au cours de ces derniers mois de la guerre, et manifestement, on n’avait pas de temps à perdre avec eux. Les deux wagons, parfois abandonnés sur des voies de garage, parfois accouplés à nouveau à une locomotive, allaient d’un endroit à l’autre. Les commandants des camps refusaient de prendre en charge ce bétail humain sous prétexte qu’il n’avait plus aucune valeur industrielle, et parce que les possibilités d’hébergement avaient atteint l’extrême limite du tolérable.
Fin janvier, au petit matin, les wagons furent abandonnés sur une voie de garage de
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