La Liste De Schindler
métallurgie… Herr Schindler, dûment impressionné, tira une enveloppe de sa poche.
— Connaissez-vous la Compagnie Rekord ? de-manda-t-il.
Oui, Stern connaissait.
— En cessation de paiements, dit-il. Spécialisée dans le matériel de cuisine, casseroles émaillées, cocottes…
Depuis qu’elle avait été déclarée en faillite, les presses et autres grosses machines avaient été confisquées. Aujourd’hui, l’usine, dirigée par des parents des anciens propriétaires, ne travaillait plus qu’à un très faible pourcentage de sa capacité.
— Mon frère, ajouta Stern, représente une firme suisse qui est un des principaux créditeurs de Rekord. La boîte était très mal gérée.
Schindler tendit l’enveloppe à Stern :
— Voici leur compte courant. Dites-moi ce que vous en pensez.
— Herr Schindler devrait également solliciter d’autres avis.
— D’accord, mais j’apprécierais votre opinion.
Stern étudia rapidement les colonnes de chiffres.
Au bout de deux à trois minutes, il prit conscience de l’étrange silence qui régnait dans la pièce. Schindler le regardait avec une intensité troublante.
Stern, comme beaucoup de ses coreligionnaires, possédait cette intuition venue du fond des siècles, qui permettait de reconnaître le goy marqué du sceau de la justice, celui qui éventuellement pourrait faire paravent à la sauvagerie des autres. C’est le même type d’intuition qui fait frapper le vagabond à la porte de l’homme charitable. Le fait que Schindler pourrait éventuellement servir de bouclier modifiait le ton de la conversation, un peu comme peut virer, au cours d’une soirée, la conversation entre un homme et une femme qui viennent de se rencontrer lorsque celui-ci entrevoit la possibilité d’emmener la dame. Stern en était plus conscient que Schindler, et il s’efforça de mettre les atouts dans sa manche, avec mille précautions.
— L’affaire est encore très valable, déclara-t-il. Vous pourriez en parler avec mon frère. Et, bien sûr, il y a toujours l’éventualité de contrats militaires…
— Très juste, murmura Herr Schindler.
Immédiatement après la chute de Cracovie, avant même que le siège de Varsovie ne fût terminé, le gouvernement général de Pologne avait mis sur pied une Inspection des armements dont le but était d’entrer en contact avec les industriels susceptibles de fournir du matériel militaire. Dans une usine comme Rekord, on pourrait très bien fabriquer des ustensiles de cuisine et des gamelles pour les popotes de campagne. Stern savait que l’Inspection des armements était dirigée par un général d’armée de la Wehrmacht, Julius Schindler. Le général était-il un parent de Herr Oskar Schindler ?
— Non, je crains que non, répondit Schindler sur un ton qui laissait penser à Stern qu’il préférait qu’on ne le sût point.
— De toute façon, expliqua Stern, même avec la production minimale actuelle, Rekord arrive encore à un chiffre d’affaires d’un demi-million de zlotys par an.
Il faudrait, bien sûr, remplacer les presses et les fours qui avaient été embarqués. Cela dépendait des crédits que pourrait obtenir Herr Schindler.
Les ustensiles de cuisine, c’était en effet plus dans ses cordes que le textile, dit Schindler. Il avait travaillé dans des usines de matériel agricole, et il connaissait bien les presses à vapeur et les machines de ce type.
Il ne vint pas à l’esprit de Stern de demander pourquoi un industriel allemand bien sous tous rapports désirait le sonder sur différentes options commerciales. Après tout, ce type de rencontre n’était pas inhabituel dans la longue histoire de sa tribu, et les affaires n’étaient pas la seule raison valable. Il expliqua la façon dont le tribunal de commerce fixerait les droits pour le bail de l’usine en faillite. Bail avec option d’achat – beaucoup mieux que simplement Treuhänder. En tant que Treuhänder, c’est-à-dire gérant, on était totalement soumis à la tutelle du ministère de l’Economie.
— Vous découvrirez qu’il ne vous sera pas possible d’employer qui bon vous semble, se risqua Stern en baissant la voix.
— Comment le savez-vous ? dit Schindler d’un ton enjoué. Vous êtes au courant de ce qui se trame ?
— Je l’ai lu dans le Berliner Tageblatt. Personne n’interdit encore à un juif de lire les journaux allemands.
— Est-ce vrai? demanda Schindler qui
Weitere Kostenlose Bücher