La Liste De Schindler
commande, était devenue l’apanage du corps des officiers polonais, même quand ils étaient juifs.
— Evidemment, je lis l’allemand ! répondit le bonhomme en levant les yeux au ciel.
Mais la façon dont il tenait le document laissait entendre que s’il parlait l’allemand, il ne devait pas le lire très bien. Pfefferberg expliqua que ce laissez-passer l’autorisait à se rendre auprès des blessés pour leur prodiguer des soins. L’autre, fortement impressionné par toute une série de tampons et de signatures, hocha la tête et lui indiqua la sortie.
Pfefferberg se précipita dans le trolley n° 1, face à la gare. Il était à peine 6 heures du matin. Pas un autre passager en vue. Le conducteur prit son argent sans faire aucune remarque. A cette époque, de nombreux soldats polonais qui n’avaient pas encore été recensés par la Wehrmacht pouvaient circuler librement en ville. Les officiers devaient se faire enregistrer, mais c’était tout.
Après avoir franchi les portes de la vieille ville, le trolley fut en cinq minutes dans la rue Grodzka. Devant le n° 48, Pfefferberg sauta de l’engin en marche comme il l’avait toujours fait depuis son enfance.
Il vécut chez différents amis, rendant visite de temps à autre à ses parents au 48 de la rue Grodzka. Les écoles juives ayant été rouvertes – elles ne devaient l’être que pendant six semaines –, il reprit même son travail d’enseignant. Il était certain qu’il faudrait quelque temps à la Gestapo pour retrouver sa trace. Aussi fit-il la demande d’une carte de ravitaillement. Il se débrouillait assez bien pour survivre en vendant des bijoux – pour son propre compte ou en tant qu’intermédiaire – sous les arcades de Sukiennice ou sous le porche de l’église Sainte-Marie où fleurissait le marché noir. Le commerce allait bon train entre Polonais, et encore plus entre Juifs polonais. Leur carte de ravitaillement, amputée au départ, leur donnait droit seulement aux deux tiers des coupons de viande et à la moitié des coupons de beurre distribués aux Polonais non juifs. Et à aucun coupon de riz ou de chocolat. Le marché noir, nerf de la guerre de toutes les minorités affamées, devenait une fois de plus, parmi la communauté juive, le seul moyen de s’en sortir. Surtout pour ceux qui, comme Leopold Pfefferberg, avaient des dispositions.
Bientôt, pensait-il, il serait à skis sur les sentiers de grande randonnée qui le conduiraient en Hongrie ou en Roumanie après avoir franchi les Tatras et une petite bande de territoire tchécoslovaque. Il avait été membre de l’équipe nationale de ski, aussi envisageait-il cette expédition sans appréhension. Il gardait dans l’appartement de ses parents un petit pistolet d’apparat qu’il avait niché en haut de l’énorme poêle de faïence. L’arme lui serait sans doute utile au cours de son périple ou s’il venait à être coincé dans l’appartement par la Gestapo.
Avec son joujou nacré, Pfefferberg avait bien failli tuer Oskar Schindler un jour maussade de novembre. Schindler, costume croisé, insigne du parti au revers du veston, avait décidé de se rendre chez Mme Mina Pfefferberg, la mère de Poldek, pour lui demander un service. Le bureau du logement du Reich lui avait fourni un très joli appartement moderne dans la Straszewskiego qui avait appartenu aux Nussbaum, une famille juive. Ce type d’appartements était réquisitionné par les autorités allemandes sans aucune contrepartie. Mina Pfefferberg, elle aussi, s’attendait à voir son appartement réquisitionné d’un jour à l’autre.
Des amis d’Oskar ont dit plus tard – encore que la chose n’ait pu être vérifiée – qu’il avait fait des recherches pour retrouver les Nussbaum et qu’il leur avait remis une somme de cinquante mille zlotys en dédommagement. Cette somme aurait été utilisée par les Nussbaum pour trouver refuge en Yougoslavie. Cinquante mille zlotys, c’était à la fois généreux et culotté, mais tout à fait typique d’Oskar qui, d’ici peu, commettrait d’autres actes que les nazis pourraient tenir pour de la provocation. Quant à sa générosité, elle était proverbiale. Il ne pouvait s’empêcher de donner aux chauffeurs de taxi le double du tarif indiqué au compteur. Mais, surtout, il pensait que la politique menée par le bureau du logement était d’une injustice flagrante. Il l’avait dit à Stern à ce moment-là, quand tout semblait
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