La Liste De Schindler
Après tout, si Oskar n’avait pas été un pécheur, cet appartement n’aurait pas été tel qu’il était, et Ingrid ne l’aurait pas attendu à ce moment précis dans la chambre à coucher.
Mais une chose doit quand même être dite : Oskar les sauvera tous – M. et Mme C…, M. H…, Mlle M…, la secrétaire du vieux C… –, et tous l’admettront, mais aucun d’entre eux ne démordra jamais de cette histoire de raclée.
Au cours de cette même soirée, Stern donna des nouvelles de Marek Biberstein qui avait été président du Judenrat jusqu’à son arrestation. Il en avait pris pour deux ans, qu’il passerait sans doute dans la prison de la rue Montelupich. Dans la plupart des villes polonaises, la population pensait que le Judenrat était une association de salopards puisque sa fonction principale consistait à établir des listes de gens à envoyer aux travaux forcés ou dans les camps. Les autorités allemandes tenaient d’ailleurs les membres du Judenrat pour des potiches à leur botte. Mais pas à Cracovie, où Marek Biberstein et son cabinet se considéraient comme les tampons entre la population juive et les militaires. Dans le journal allemand de Cracovie en date du 13 mars 1940, un certain Dr Dietrich Redecker raconte qu’au cours d’une visite effectuée dans les locaux du Judenrat, il fut frappé par le luxe des tapis et du mobilier. Quel contraste avec la crasse du quartier juif de Kazimierz, ajoutait-il. Pourtant les survivants juifs de Cracovie ne se rappellent pas que les premiers membres du Judenrat aient été des gens qui se soient coupés du peuple. Il est vrai que, étant à court de fonds, ils avaient commis les mêmes erreurs que les Judenrats de Lodz ou de Varsovie en permettant aux membres les plus riches de la communauté d’échapper aux travaux forcés en échange d’une certaine somme… De même, ils avaient obligé de pauvres gens affamés à se porter volontaires sur leurs listes en échange de soupe et de pain. Mais, même plus tard, en 1941, les juifs de Varsovie continueraient à respecter Biberstein et son conseil.
Les premiers membres du Judenrat étaient au nombre de vingt-quatre. Tous des hommes, tous des intellectuels. En se rendant à Zablocie, Oskar passait chaque jour devant leurs bureaux de Podgorze, où toute une armada de secrétaires se tenaient au coude à coude. Chaque membre, comme dans un vrai cabinet, était en charge d’un certain secteur de l’administration. M. Schenker était chargé de la collecte des impôts, M. Steinberg du parc immobilier, poste essentiel, à une époque où la communauté juive était ballottée de tous côtés. Léon Salpeter, pharmacien de profession, s’occupait de l’aide sociale. Il y avait des secrétariats pour l’alimentation, les cimetières, la santé, les affaires économiques, les services administratifs, la culture et même – en dépit de la fermeture des écoles – l’éducation.
Biberstein et les membres de son conseil partaient du principe que les juifs expulsés de Cracovie se retrouveraient dans des conditions pires encore. Aussi avaient-ils décidé d’avoir recours à un vieux stratagème : les pots-de-vin. Ils avaient créé un fonds spécial de deux cent mille zlotys à cet effet. Biberstein et le secrétaire au logement, Chaim Goldfluss, s’étaient acquis les services d’un Volksdeutscher, appelé Reichert, qui était en contact avec les SS et l’administration militaire. Son rôle consistait à faire passer les pots-de-vin à toute une brochette de gens haut placés, à commencer par l’Obersturmführer Seibert, l’officier SS qui faisait la liaison entre le Judenrat et les autorités allemandes. Grâce à ces largesses, dix mille juifs supplémentaires purent rester à Cracovie en dépit du décret promulgué par Frank. Mais l’affaire finit par se savoir. Reichert avait-il été trop gourmand et s’était-il gardé une part de gâteau que les gens de l’administration trouvèrent indécente ? Certains fonctionnaires, devant la détermination de Frank, jugèrent-ils que le jeu n’en valait plus la chandelle ? Les minutes du procès ne nous renseignent guère là-dessus. Il n’en reste pas moins que Biberstein en prit pour deux ans à Montelupich, Goldfluss six mois à Auschwitz. Reichert lui-même fut condamné à huit années de prison. Chacun savait cependant qu’il s’en tirerait mieux que les deux autres.
Schindler hocha la tête à l’idée qu’on ait pu
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