La Liste De Schindler
miser deux cent mille zlotys sur un espoir aussi fragile.
— Reichert est un escroc, déclara-t-il.
Dix minutes plus tôt, ils étaient en pleine discussion pour savoir si lui et les C… étaient des escrocs. La question n’avait pas reçu de réponse. Mais pour ce qui était de Reichert, il n’y avait aucun doute.
— J’aurais pu leur dire que Reichert était un escroc, insistait-il.
Stern, toujours philosophe, commenta judicieusement qu’à certaines périodes de l’Histoire les seules personnes avec qui l’on pouvait faire des affaires ne pouvaient être que des escrocs.
Schindler émit un rire quelque peu sardonique.
— Merci, merci beaucoup, mon ami ! conclut-il.
CHAPITRE 8
Finalement, ce ne fut pas un trop mauvais Noël. Il y avait, bien sûr, quelques regrets dans l’air. La neige qui recouvrait les parcs, les toits de Wawel, les rues et les allées de la ville donnait un certain reflet d’éternité à toute chose. Personne, pas plus les soldats que les Polonais ou les juifs des deux côtés du fleuve, ne s’attendait à une conclusion rapide de tous les bouleversements qui venaient de se produire.
Schindler avait offert comme cadeau de Noël à sa secrétaire polonaise Klonowska un caniche ridicule que Pfefferberg avait réussi à se procurer. Il avait acheté des bijoux pour Ingrid et en avait également envoyé à Emilie à Zwittau. Un caniche était une chose extrêmement rare, lui avait dit Leopold Pfefferberg. Mais pour les bijoux, pas de problème. L’époque favorisait leur circulation.
Oskar continuait à mener ses affaires de cœur avec trois femmes différentes – sans compter l’amitié qu’il portait à quelques autres –, et cela en toute bonne conscience et sans la moindre trace d’aigreur de la part de ses compagnes. Les amis qui venaient lui rendre visite dans son appartement ne se rappellent pas avoir vu Ingrid lui faire la tête une seule fois. Elle semblait être une femme à la fois généreuse et compréhensive. Emilie, qui avait des raisons plus sérieuses encore de se plaindre, avait trop de dignité pour faire à Oskar les scènes qu’il méritait. Et si Klonowska ressentait quelque humeur, cela ne semblait affecter en aucune manière son comportement dans les bureaux de la DEF, ni sa loyauté envers Herr Direktor. Considérant la vie de patachon qu’il menait, on aurait pu penser que des criailleries publiques entre femmes en colère eussent été chose courante. Mais personne parmi les amis ou les ouvriers d’Oskar – témoins privilégiés de ses faiblesses, et qui, parfois, en riaient sous cape – ne se rappelle avoir assisté à ces scènes auxquelles tant d’amoureux moins dissipés qu’Oskar sont si souvent confrontés.
Prétendre qu’une femme ait pu se contenter d’avoir Oskar à mi-temps serait lui porter tort. Le problème avec Oskar était ailleurs. Le concept de fidélité lui était totalement étranger, et aborder ce sujet provoquait chez lui un regard étonné, un peu comme si l’on avait voulu le convaincre du bien-fondé de la théorie de la relativité. Il aurait fallu des heures et des heures pour l’amener à comprendre. Oskar n’avait pas de temps à perdre et n’a jamais voulu comprendre.
Le cas de sa mère faisait exception. C’est en souvenir d’elle qu’il assista à la messe en l’église Sainte-Marie le jour de Noël. Il y avait un vide au-dessus de l’autel à l’endroit où le triptyque signé Wit Stwosz avait, depuis des siècles, diverti l’attention de tant de fidèles. Herr Schindler n’en revenait pas. Quelqu’un avait volé le triptyque. Quelqu’un l’avait même expédié à Nuremberg. Dans quel monde vivions-nous ?
En tout cas, cet hiver-là les affaires furent excellentes. Dans le cours de l’année, ses amis de l’Inspection des armements proposèrent à Oskar de se lancer dans la fabrication des obus antitanks. Les obus intéressaient beaucoup moins Oskar que les casseroles et les cocottes qui n’exigeaient pas un travail de grande précision. Il suffisait de couper le métal, de le passer dans des presses, de le tremper dans des bacs et de le cuire à température requise. Inutile de calibrer au millimètre près ; le travail n’était en rien comparable avec la fabrication des armes. Qui plus est, le commerce des obus ne se prêtait pas aux échanges sous le comptoir. Or, Oskar aimait ce type d’échanges, à la fois pour le risque, le petit côté filou, l’argent
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