La Liste De Schindler
insista-t-il en prenant une voix mélodramatique. J’ai un métier, Liebchen, j’en ai même plusieurs.
Skoda répondit que la seule personne qui pouvait faire quelque chose, c’était Herr Szepessi. Mais il était impossible que Pfefferberg le voie maintenant. Il faudrait des jours.
— Mais vous m’obtiendrez un rendez-vous, Liebchen ! insista Pfefferberg.
De fait, elle lui en obtint un. Sa réputation de brave fille lui était venue ainsi. Elle savait, quand il fallait, faire abstraction de la routine et pouvait, même en plein milieu d’un jour surchargé, faire preuve d’humanité. Peut-être, il est vrai, qu’un vieil homme plein de verrues ne s’en serait pas tiré à si bon compte.
Herr Szepessi, bien qu’au service d’une monstrueuse machine, avait gardé des sentiments humains. Il jeta un œil rapide sur les papiers de Pfefferberg.
— Mais nous n’avons pas besoin de professeurs de gymnastique, murmura-t-il.
Pfefferberg avait toujours refusé les offres d’emploi d’Oskar parce qu’il préférait jouer les francs-tireurs. Il n’avait pas du tout envie d’aligner les heures de travail pour un salaire dérisoire dans cet endroit sinistre qu’était Zablocie. Il s’apercevait maintenant que le temps des francs-tireurs était révolu. Pour se cramponner à la vie, il fallait avoir un métier.
— Mais je suis polisseur sur métal, dit-il à Szepessi.
Il avait, c’est vrai, travaillé quelque temps avec un de ses oncles de Podgorze qui avait une petite usine de tôlerie à Rekawka.
Herr Szepessi examina Pfefferberg derrière ses lunettes.
— Ça, dit-il, c’est un métier !
Il prit son stylo, barra soigneusement ce « Professeur de gymnastique » dont Pfefferberg était si fier et écrivit au-dessus « Polisseur sur métal ». Il alla chercher un cachet et un pot de colle et prit dans son bureau le fameux macaron bleu.
— Maintenant, dit-il en rendant sa carte à Pfefferberg, vous pourrez dire aux Schupos que vous êtes un membre utile de la société.
Un peu plus tard cette année-là, Szepessi, coupable de trop grande complaisance, se retrouverait à Auschwitz.
CHAPITRE 14
Oskar Schindler avait entendu les rumeurs de plusieurs sources. Aussi bien de Toffel, le policier, que de Bosch, l’ivrogne de l’Ostfaser, la fabrique SS de textile : les « procédures » – comme ils disaient – se multipliaient dans le ghetto. Les SS avaient fait venir à Cracovie des unités d’élite – les « Sonderkommandos » –, en provenance de Lublin où elles s’étaient déjà particulièrement illustrées en matière de purification raciale. Toffel avait suggéré à Oskar que s’il voulait maintenir sa production, il aurait intérêt à mettre des lits de camp pour son équipe de nuit jusqu’au premier jour du sabbat de juin.
Oskar transforma donc en dortoirs quelques bureaux et un coin de l’étage réservé aux munitions. Certains membres de l’équipe de nuit étaient très contents de ne pas avoir à rentrer au ghetto, tandis que d’autres se désolaient de ne pas pouvoir aller embrasser leur femme et leurs enfants. Qui plus est, ils avaient leur Blauschein, le macaron sacré, sur leur Kennkarte.
Le 3 juin, Abraham Bankier, le directeur du personnel d’Oskar, ne se présenta pas rue Lipowa. Schindler était encore chez lui, sirotant son café dans l’appartement de la Straszewskiego, quand une secrétaire l’appela au téléphone. Elle avait vu Bankier et quelques autres travailleurs d’Emalia sortir du ghetto sous bonne garde. On les avait emmenés à la gare de Prokocim. Leser, Reich et une bonne douzaine d’autres faisaient partie du groupe.
Oskar demanda immédiatement sa voiture. Il traversa le fleuve en direction de Prokocim et présenta son laissez-passer aux gardes postés à l’entrée de la gare. Les voies étaient encombrées de wagons à bestiaux. Dans la gare elle-même, une foule de gens du ghetto jugés « non indispensables » étaient alignés sagement en colonne. Ils étaient convaincus – et peut-être n’avaient-ils pas tort – que la passivité était la seule réponse valable à ce genre d’exaction. Oskar n’avait encore jamais eu l’occasion de voir un tel spectacle, même s’il en avait entendu parler. Péniblement impressionné, il s’arrêta quelques instants le long d’un quai où il aperçut un bijoutier de ses connaissances.
— Vous avez vu Bankier ? demanda-t-il.
— Il est déjà dans un
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