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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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DE POITIERS
    Le comte de Poitiers ne se berçait
pas d’illusions. Il venait de remporter un premier succès, spectaculaire,
rapide ; mais il savait que ses adversaires n’allaient pas désarmer si
aisément.
    Aussitôt qu’il eût reçu de
Monseigneur de Valois un serment de fidélité qui n’était que de bouche,
Philippe traversa le Palais pour aller saluer sa belle-sœur Clémence. Il était
accompagné d’Anseau de Joinville et de la comtesse Mahaut. Hugues de Bouville,
en apercevant Philippe, fondit en larmes et tomba à genoux, lui baisant les
mains. L’ancien chambellan s’était abstenu de paraître à la réunion de
l’après-midi ; il n’avait pas quitté son poste ni lâché son épée pendant
toutes ces dernières heures, et il était passé par de rudes transes pendant que
le connétable assiégeait le Palais.
    — Pardonnez-moi, Monseigneur,
pardonnez-moi cette faiblesse ; c’est la joie de vous voir de retour…
disait-il en mouillant de ses pleurs les doigts du régent.
    — Faites donc, mon bon, faites
donc, répondit Philippe.
    Le vieux sire de Joinville ne
reconnut pas le comte de Poitiers. Il ne reconnut pas davantage d’ailleurs son
propre fils, et quand on lui eut répété par trois fois qui ils étaient, il les
confondit et s’inclina cérémonieusement devant l’héritier de son nom.
    Bouville ouvrit la porte de la
chambre de la reine. Mais, comme Mahaut se disposait à suivre Philippe, le
curateur, retrouvant son énergie, dit avec autorité :
    — Vous seul, Monseigneur, vous
seul !
    Et il referma la porte au nez de la
comtesse.
    La reine Clémence était pâle, lasse
et visiblement hors des préoccupations qui agitaient si fort la cour et la
population de Paris. Elle ne put, en voyant le comte de Poitiers venir à elle
les mains tendues, s’empêcher de penser : « Si c’avait été lui à qui
l’on m’eût mariée, je ne serais pas veuve aujourd’hui. Pourquoi Louis ?
Pourquoi pas Philippe ? » Elle essayait d’interdire à sa pensée cette
sorte de questions qui lui paraissaient autant de reproches au Créateur
tout-puissant. Mais rien, même la piété, ne pouvait défendre une veuve de
vingt-trois ans de se demander pour quelle raison les autres jeunes hommes, les
autres maris, étaient vivants !
    Philippe l’informa de sa prise de
régence et l’assura de son entier dévouement.
    — Oh ! oui, mon frère,
oh ! oui, murmura-t-elle, aidez-moi !
    Elle voulait dire, sans bien savoir
comment s’exprimer : « Aidez-moi à vivre, aidez-moi à me sauver du
désespoir, aidez-moi à mettre au monde cet enfant que je porte et qui est tout
ce qui me rattache désormais à la terre. »
    — Pourquoi notre oncle Valois,
reprit-elle, m’a-t-il fait quitter presque de force ma maison de
Vincennes ? Louis me l’avait donnée dans son dernier souffle.
    — Vous souhaitez donc y
retourner ? demanda Poitiers.
    — C’est mon seul désir, mon
frère ! Je m’y sentirais plus forte. Et mon enfant naîtrait au plus près
de l’âme de son père, au lieu où elle a quitté le monde.
    Philippe ne prenait aucune décision,
même secondaire, à la légère. Il regarda, à travers la fenêtre, la flèche de la
Sainte-Chapelle, dont les lignes un peu incertaines et brouillées se dressaient
devant ses yeux myopes.
    « Si je lui donne cette
satisfaction, pensait-il, elle m’en saura gré, me tiendra pour son défenseur et
me laissera décider de toutes choses pour elle. D’autre part, mes adversaires
l’atteindront moins aisément à Vincennes qu’ici et pourront moins l’utiliser
contre moi. D’ailleurs, dans le douloir où elle est, elle ne saurait servir à
personne. »
    — Je veux, ma sœur, vous
satisfaire en tout, répondit-il. Aussitôt que l’assemblée des hauts hommes
m’aura confirmé dans ma charge, mon premier soin sera de vous reconduire à
Vincennes. Nous sommes lundi, l’assemblée, que je fais presser, se tiendra sans
doute vendredi. Pour le prochain dimanche, vous écouterez, je pense, la messe
en votre maison.
    — Je savais, Philippe, que vous
étiez un bon frère. Votre retour est le premier apaisement que Dieu m’accorde.
    Au sortir de l’appartement de la
reine, Philippe rejoignit sa belle-mère et Anseau de Joinville qui
l’attendaient. Mahaut s’était prise de bec pour Bouville et arpentait, de son
grand pas d’homme, les dalles d’une galerie, devant les écuyers de garde.
    — Alors, comment
est-elle ?

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