La Loi des mâles
Parloir, et assez riche pour
payer, en cas de besoin, tous les truands de la ville et les envoyer à
l’émeute.
La nouvelle du retour de Philippe de
Poitiers s’était rapidement répandue. Les barons et chevaliers qui lui étaient
favorables accoururent au Louvre. Mahaut d’Artois, personnellement prévenue,
fut des premières à se présenter.
— En quel état est ma mie
Jeanne ? dit Philippe à sa belle-mère, en lui ouvrant les bras.
— On attend sa délivrance d’un
jour à l’autre.
— Je l’irai voir aussitôt mes
travaux achevés.
Puis il se concerta avec son oncle
d’Évreux et le connétable.
— À présent, Gaucher, vous
pouvez marcher contre le Palais. Tâchez, s’il se peut, d’en avoir fini pour
midi. Mais faites en sorte d’éviter le sang autant qu’il sera possible. Agissez
par effroi plutôt que par violence. Je déplorerais d’entrer au Palais en
enjambant des morts.
Gaucher alla prendre la tête des
compagnies de gens d’armes qu’il avait réunies au Louvre et gagna la Cité. En
même temps il envoyait le prévôt quérir, dans le quartier du Temple, les
meilleurs charpentiers et serruriers.
Les portes du Palais étaient
fermées. Gaucher, ayant à son côté le grand maître des arbalétriers, demanda
l’entrée. L’officier de garde, se montrant à une lucarne au-dessus de la porte
principale, répondit qu’il ne pouvait ouvrir sans l’autorisation du comte de
Valois ou du comte de La Marche.
— Il vous faut m’ouvrir quand
même, répondit le connétable, car je veux entrer, et mettre le Palais en état
de recevoir le régent, qui me suit.
— Nous ne pouvons.
Gaucher de Châtillon se tassa un peu
sur son cheval.
— Alors, nous ouvrirons par
nous-mêmes, dit-il.
Et il fit signe d’approcher à maître
Pierre du Temple, charpentier royal, escorté de ses ouvriers qui portaient des
scies, des pinces et de gros leviers de fer. En même temps, les arbalétriers
reçurent l’ordre d’armer. Ils retournèrent leurs arbalètes, et engagèrent le
pied dans une sorte d’étrier de fer qui leur permettait de tenir l’arc appuyé
au sol pendant qu’ils bandaient les cordes. Puis ils placèrent la flèche dans
l’encoche, et se mirent en position de viser les créneaux et embrasures. Les
archers et piquiers, joignant leurs boucliers, formaient une énorme carapace
autour et au-dessus des charpentiers. Dans les rues adjacentes, badauds et
gamins se massaient, à distance respectueuse, pour voir le siège. On leur
offrait une belle distraction dont ils allaient pouvoir parler pendant des
jours. « Aussi vrai que je suis là… J’ai vu le connétable tirer sa grande
épée… Plus de deux mille, pour sûr, plus de deux mille qu’ils
étaient ! »
Enfin, Gaucher, de la voix dont il
commandait sur les champs de bataille, cria, par la ventaille levée de son
heaume :
— Messires qui êtes dedans,
voici les maîtres de charpente et de serrurerie qui vont faire sauter les
portes. Voyez aussi les arbalétriers de messire de Galard qui cernent le Palais
de toutes parts. Nul ne pourra réchapper. Je vous invite une dernière fois à
nous bâiller l’huis, car si vous ne vous rendez à discrétion, vous aurez tous
la tête tranchée, si nobles que vous soyez. Le régent ne fera pas de quartier.
Puis il abaissa sa visière, ce qui
était preuve qu’il ne discuterait plus.
Il devait régner grande panique à
l’intérieur car, à peine les ouvriers avaient-ils engagé les leviers sous les
portes, celles-ci tournèrent d’elles-mêmes. La garnison du comte de Valois se
rendait.
— Il était temps de vous
soumettre à sagesse, dit le connétable en pénétrant dans la cour du Palais.
Rentrez en vos demeures ou aux hôtels de vos maîtres ; ne vous attroupez
pas, et il ne vous sera point fait de mal.
Une heure plus tard, Philippe de
Poitiers occupait les appartements royaux. Il décida aussitôt des mesures de
sécurité. La cour du Palais, ordinairement ouverte à la foule, fut close,
gardée militairement, et les visiteurs soigneusement filtrés. Les merciers, qui
avaient privilège de vendre dans la grande galerie, furent invités à fermer
boutique pour la journée.
Lorsque les comtes de Valois et de
La Marche arrivèrent à Paris, ils comprirent leur partie perdue.
— Philippe nous a méchamment
joués, dirent-ils.
Et ils se hâtèrent, n’ayant plus
d’autre issue, d’aller au Palais négocier leur soumission. Ils y
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