La Loi des mâles
châtiment, la réclusion perpétuelle lui
avait été épargnée. Or tandis que Marguerite, assassinée dans sa prison,
n’était plus que poussière, tandis que Blanche continuait de se morfondre,
toujours incarcérée, elle, à présent, avait retrouvé son époux, sa famille et
sa situation à la cour. Instruite à la prudence par son année de détention à
Dourdan, elle entendait ne rien compromettre. Il ne lui importait pas
particulièrement que son enfant naquît au Palais ; et désireuse surtout de
complaire à son mari, dont elle devinait que l’insistance se fondait sur de
solides raisons, elle répondit :
— C’est ici, ma mère, que je
souhaite faire mes couches. Je m’y sentirai mieux.
Philippe la remercia d’un sourire.
Assis dans un grand siège à dossier droit, les jambes allongées et croisées, il
s’enquit du nom des matrones et ventrières qui devaient assister Jeanne,
voulant savoir d’où chacune venait, et si l’on pouvait leur accorder toute
confiance. Il recommanda qu’on leur fît prêter serment, précaution qu’on ne
prenait d’ordinaire que pour les accouchements royaux.
« Que voilà un bon époux qui
prend grand soin de moi ! », pensait Jeanne en l’écoutant.
Philippe exigea aussi que, dès
l’instant où la comtesse de Poitiers entrerait dans les douleurs, les portes de
l’hôtel d’Artois fussent fermées. Nul n’en devait plus sortir à l’exception
d’une seule personne chargée de lui porter la nouvelle de la naissance…
— … vous, dit-il en
désignant Béatrice d’Hirson qui assistait à l’entretien. Les ordres sont donnés
à mon chambellan pour que vous puissiez me joindre à toute heure, même si je
suis en Conseil. Et s’il se trouve compagnie autour de moi, vous ne me ferez
l’annonce qu’à voix basse, sans en souffler mot à autrui… si c’est un fils. Je
me fie à vous car je me rappelle que vous m’avez bien servi.
— Et davantage encore que vous
ne le pensez… Monseigneur… répondit Béatrice en inclinant légèrement la tête.
Mahaut lança un regard furieux à
Béatrice comme pour la rappeler à l’ordre. Cette fille, avec ses airs dolents,
sa fausse naïveté, ses sournoises audaces, la faisait trembler. Mais Béatrice
continuait de sourire. Le jeu des deux visages n’échappa pas à Jeanne. Entre sa
mère et la demoiselle de parage, elle sentait une épaisseur de secrets qu’elle
préférait ne pas chercher à percer.
Elle tourna les yeux vers son mari.
Celui-ci ne s’était aperçu de rien. La nuque appuyée au dossier de son siège,
il venait de s’endormir d’un coup, foudroyé par le sommeil des victoires. Sur
son long visage, d’ordinaire sévère, paraissait une expression de douceur
attentive qui permettait d’imaginer l’enfant qu’il avait été. Jeanne, émue,
s’approcha d’un pas prudent et vint lui poser au front un baiser sans poids.
IX
L’ENFANT DU VENDREDI
Dès le lendemain, le comte de
Poitiers se mit à la préparation de l’assemblée du vendredi. S’il en sortait
vainqueur, nul ne serait plus en mesure, pour de longues années, de lui
contester le pouvoir.
Il dépêcha messagers et chevaucheurs
pour convoquer, comme on en était convenu, tous les hauts hommes du
royaume – tous ceux, en fait, qui ne se trouvaient pas à plus de deux
journées de cheval, ce qui offrait l’avantage, d’une part, de ne pas laisser la
situation se détériorer, et, d’autre part, d’éliminer certains grands vassaux
dont Philippe pouvait redouter l’hostilité, tels le comte de Flandre et le roi
d’Angleterre.
En même temps, il confiait à Gaucher
de Châtillon, à Miles de Noyers et à Raoul de Presles le soin de rédiger le
règlement de régence qui serait soumis à l’assemblée. S’appuyant sur les
décisions déjà acquises, on fixa les principes suivants : le comte de
Poitiers administrerait la France et la Navarre, avec le titre provisoire de
régent, gouverneur et gardien, et percevrait tous les revenus royaux. Si la
reine Clémence mettait au monde un fils, celui-ci naturellement serait roi, et
Philippe conserverait la régence jusqu’à la majorité de son neveu. Mais si
Clémence accouchait d’une fille… Toutes les difficultés commençaient à cette
hypothèse.
Car dans ce cas la couronne devait
normalement revenir à la petite Jeanne de Navarre, fille de Marguerite et de
Louis X. Mais était-elle vraiment la fille de Louis ? La cour tout
entière, durant
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