La Loi des mâles
demanda-t-elle à Philippe.
— Pieuse et résignée, et bien
digne de donner à la France un roi, répondit le comte de Poitiers de manière
que ses paroles pussent atteindre toutes les oreilles environnantes.
Puis, à mi-voix, il ajouta :
— Je ne crois pas, en l’état de
faiblesse qu’elle montre, qu’elle conduise l’enfant jusqu’à terme.
— Ce serait bien le meilleur
cadeau qu’elle pourrait nous faire, et les choses seraient plus faciles à
régler, répondit Mahaut de la même façon. Et puis l’on en finirait de toute
cette défiance et de cet appareil de guerre qui l’entoure. Depuis quand les
pairs du royaume n’ont-ils plus accès auprès de la reine ? J’ai été veuve
aussi, que diable, et l’on pouvait m’approcher pour les affaires de
gouvernement !
Philippe, qui n’avait pas encore vu
sa femme depuis son retour, accompagna Mahaut à l’hôtel d’Artois.
— Le temps de votre absence a
fort pesé à ma fille, dit Mahaut. Mais vous allez la voir fraîche à ravir. Nul
ne croirait qu’elle est à la veille de livrer son fruit. J’étais ainsi en mes
grossesses, alerte jusqu’au dernier jour.
Les retrouvailles du comte de
Poitiers et de sa femme furent émues, bien que sans larmes. Jeanne, fort
lourde, se déplaçait avec gêne, mais elle offrait tous les signes de la santé
et du bonheur. La nuit était venue, et la lueur des chandelles, seyante au
teint, estompait sur le visage de la jeune femme les marques de son état. Elle
portait un collier de corail rouge, le corail étant réputé pour son action
bénéfique sur les accouchements.
Ce fut en présence de Jeanne que
Philippe eut la conscience véritable des succès remportés et qu’il s’accorda la
satisfaction de soi-même. Entourant du bras l’épaule de son épouse, il lui
dit :
— Je crois bien, ma douce amie,
que je puis vous appeler désormais Madame la régente.
— Fasse Dieu, mon beau sire,
que je vous donne un fils, répondit-elle en s’alanguissant un peu contre le
corps maigre et robuste de son mari.
— Dieu mettrait le comble à ses
grâces, lui murmura Philippe à l’oreille, en ne le faisant naître qu’après
vendredi.
Une discussion s’ouvrit bientôt
entre Mahaut et Philippe. La comtesse d’Artois estimait que sa fille devait se
transporter au Palais dans l’instant afin d’y partager le logis de son époux.
Celui-ci était d’avis contraire et désirait que Jeanne restât à l’hôtel
d’Artois. Il avançait plusieurs arguments, fort bons en soi, mais qui ne
découvraient pas le fond de sa pensée, et qui d’ailleurs ne convainquirent pas
Mahaut. Le Palais pouvait être dans les jours à venir le siège d’assemblées
violentes et de tumultes nuisibles à une parturiente ; d’autre part,
Philippe estimait plus séant d’attendre, pour installer Jeanne au Palais royal,
que Clémence eût regagné Vincennes.
— Mais il se peut que demain Jeanne
soit empêchée tout à fait de bouger, fit remarquer Mahaut. N’avez-vous donc
point désir que votre enfant voie le jour au Palais ?
— C’est cela justement que je
voudrais éviter.
— Là, vraiment, je ne vous
comprends point, mon fils, dit Mahaut en haussant ses puissantes épaules.
Cette controverse lassait Philippe.
Il n’avait pas dormi depuis trente-six heures, avait parcouru la nuit
précédente quinze lieues à cheval, et vécu ensuite la journée la plus
difficile, la plus mouvementée de sa vie. Il sentait sa barbe pousser et ses
paupières, par instants, se fermer d’elles-mêmes. Mais il était décidé à ne pas
céder. « Mon lit, pensait-il. Que l’on m’obéisse, et que je gagne mon
lit ! »
— Prenons donc l’avis de
Jeanne. Que souhaitez-vous, ma mie ? demanda-t-il.
Mahaut avait une intelligence
d’homme, une volonté d’homme, et un souci constant d’affirmer le prestige de sa
race. Jeanne, de nature toute différente et infiniment plus réservée, semblait
jusque-là désignée par le destin à n’occuper que les secondes places, et cela
dans les honneurs comme dans les drames. D’abord fiancée à Louis Hutin pour
être donnée ensuite, par une sorte d’échange, au second fils de Philippe le
Bel, elle avait donc pu se croire un moment promise à devenir reine de Navarre
et de France, avant de se voir supplantée par sa cousine Marguerite. Mêlée du
plus près au scandale de la tour de Nesle, elle avait côtoyé l’adultère mais
sans le commettre ; et dans le
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