La Loi des mâles
suite de
Charles de Valois, que le comte de Poitiers reposait. Le silence tomba sur le
château. Un peu plus tard, le barbier arriva avec son attirail. Tandis qu’on le
rasait, Philippe de Poitiers se rappela, prononcées dans cette même chambre,
devant la famille et la cour, les dernières recommandations de son père à
Louis, qui en avait tenu si peu compte « Pesez, Louis, ce que c’est que
d’être le roi de France Et sachez au plus tôt l’état de votre royaume. »
Vers minuit, Adam Héron vint
l’avertir que les chevaux étaient prêts. Quand le comte de Poitiers sortit de
la chambre, il avait le sentiment que vingt mois étaient abolis, et qu’il
reprenait les choses là où elles se trouvaient à la mort de son père, comme
s’il en recueillait directement la succession.
Une lune propice éclairait la route
La nuit de juillet, tout étoilée, ressemblait au manteau de la Sainte Vierge.
La forêt exhalait ses parfums de mousse, d’humus et de fougère ; elle
vivait du frémissement secret des animaux. Philippe de Poitiers montait un excellent
cheval dont il goûtait l’allure puissante. L’air frais fouettait ses joues
rendues sensibles par les rasoirs du barbier.
« Ce serait pitié, songeait-il,
que de laisser si bon pays en de mauvaises mains. »
La petite troupe surgit de la forêt,
traversa au galop Ponthierry et s’arrêta, comme le jour apparaissait, au creux
d’Essonne, pour faire souffler les chevaux et prendre quelque nourriture.
Philippe dévora ce repas, assis sur une borne. Il semblait heureux. Il n’avait
que vingt-cinq ans, son expédition revêtait un air de conquête, et il
s’adressait avec une amitié joyeuse aux compagnons de son aventure. Cette
gaieté, rare chez lui, acheva de les affermir.
Entre prime et tierce, il arrivait à
la porte de Paris tandis que sonnaient les cloches aigrelettes des couvents
d’alentour. Il trouva là Louis d’Évreux et Gaucher de Châtillon qui
l’attendaient. Le connétable avait son visage des mauvais jours. Il invita
aussitôt le comte de Poitiers à se rendre au Louvre.
— Et pourquoi n’irais-je pas
tout droit au palais de la Cité ? demanda Philippe.
— Parce que nos seigneurs de
Valois et de La Marche ont fait occuper le Palais par leurs hommes d’armes. Au
Louvre, vous aurez les troupes royales, qui sont tout à mon obéissance,
c’est-à-dire tout à vous, avec les arbalétriers de messire de Galard… Mais il
faut agir promptement et résolument, ajouta le connétable, pour devancer le
retour de nos deux Charles. Si vous m’en donnez l’ordre, Monseigneur, je fais
enlever le Palais.
Philippe savait que les minutes
étaient précieuses. Il calculait qu’il avait, néanmoins, six à sept heures
d’avance sur Valois.
— Je ne veux rien entreprendre
dont je ne sache auparavant que cela sera vu de bonne façon par les bourgeois
et le peuple de la ville, répondit-il.
Et dès qu’il fut entré au Louvre, il
envoya mander, au Parloir aux Bourgeois, maître Coquatrix, maître Gentien, et
quelques autres notables, ainsi que le prévôt Guillaume de La Madelaine qui
avait succédé depuis mars au prévôt Ployebouche.
Philippe leur marqua en quelques paroles
l’importance qu’il attachait à la bourgeoisie de Paris et aux hommes qui
dirigeaient les arts de fabrique et le négoce. Les bourgeois se sentirent
honorés, et surtout rassurés, par un tel langage qu’ils n’avaient plus entendu
depuis la disparition de Philippe le Bel. Or ce roi, dont ils se plaisaient à
médire du temps qu’il les gouvernait, comme ils le regrettaient à
présent !
Ce fut Geoffroy Coquatrix,
commissaire sur les monnaies fausses, collecteur des subventions et subsides,
trésorier des guerres, pourvoyeur des garnisons, visiteur des ports et passages
du royaume, maître à la Chambre des comptes, qui répondit. Il tenait ses
charges de Philippe le Bel, qui l’avait même doté d’un revenu à héritage, ainsi
qu’on le faisait pour les grands serviteurs de la Couronne ; et il n’avait
jamais rendu de comptes de son administration. Il craignait que Charles de
Valois, hostile depuis toujours à la promotion des bourgeois aux grands postes,
ne le destituât de ses fonctions pour le spolier de l’énorme fortune qu’il
s’était acquise. Coquatrix assura le comte de Poitiers, en lui donnant dix fois
du « messire régent », du dévouement de la population parisienne. Sa
parole valait cher, car il était tout-puissant au
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