La Loi des mâles
ces journées-là, se posait la question.
Sans la découverte, provoquée par
Isabelle d’Angleterre et Robert d’Artois, des coupables amours de Marguerite,
sans la publicité du scandale, du jugement, des condamnations, les droits de
Jeanne de Navarre n’eussent pu être discutés. En l’absence d’héritier mâle,
elle devenait reine de France. Mais il pesait sur elle de lourdes présomptions
de bâtardise que Charles de Valois et Louis X lui-même s’étaient complu à
étayer, à l’occasion du remariage, et dont les partisans de Philippe en la
circonstance ne manquèrent pas de tirer parti.
— Elle est la fille de Philippe
d’Aunay, disait-on ouvertement.
Ainsi l’affaire de la tour de Nesle,
sans avoir jamais eu le caractère abominablement orgiaque et criminel que lui
prêtait l’imagination populaire, posait, deux ans après qu’elle eut éclaté, et
dans sa banale réalité d’adultère, un problème d’exceptionnelle gravité pour la
dynastie française.
Quelqu’un proposa de décider que la
couronne serait de toute manière attribuée à l’enfant de Clémence, fille ou
garçon.
Philippe de Poitiers fit grise mine
à cette suggestion. Certes, les soupçons qui entouraient Jeanne de Navarre
étaient fortement fondés ; mais on n’en possédait aucune preuve absolue.
En dépit des pressions exercées sur elle et des marchés mis en main, Marguerite
n’avait jamais signé aucune déclaration qui conclût à l’illégitimité de Jeanne.
La lettre datée de la veille de sa mort, et qui avait été utilisée au procès de
Marigny, affirmait le contraire. Il était bien évident que ni la vieille Agnès
de Bourgogne, ni son fils Eudes IV, le duc actuel, n’accepteraient de
souscrire à l’éviction de leur petite-fille et nièce. Le comte de Flandre ne
manquerait pas de prendre leur parti et sans doute avec lui le comte de
Champagne. On exposait la France au risque d’une guerre civile.
— Alors, dit Gaucher de
Châtillon, décrétons tout bonnement que les filles sont écartées de la
couronne. Il doit bien y avoir quelque coutume sur laquelle on puisse
s’appuyer.
— Hélas, répondit Miles de
Noyers, j’ai déjà fait chercher, car votre idée m’était aussi venue, mais l’on
ne trouve rien.
— Qu’on cherche
davantage ! Mettez à ce soin vos amis, les maîtres de l’Université et du
Parlement. Ces gens-là dénichent coutume pour tout, et dans le sens qu’on veut,
s’ils s’en donnent la peine. Ils remontent à Clovis pour prouver qu’on vous
doit fendre la tête, ou rôtir les pieds, ou trancher le meilleur.
— Il est vrai, dit Miles, que
je n’avais pas fait rechercher si haut. Je ne pensais qu’aux coutumes établies
depuis Hugues. Il faudrait aller voir plus anciennement. Mais nous n’avons
guère le temps d’ici vendredi.
Obstiné, le connétable, balançant
son menton carré et plissant ses paupières de tortue, poursuivit :
— En vérité ce serait folie que
de laisser fille monter au trône ! Voyez-vous dame ou donzelle commander
les armées, impure chaque mois, grosse chaque année ? Et tenir tête aux
vassaux, alors qu’elles ne sont point même capables de faire taire les chaleurs
de leur nature ? Non, moi je ne vois point cela, et je rendrais tout
aussitôt mon épée. Messeigneurs, je vous le dis, la France est trop noble
royaume pour tomber en quenouille et être remis à femelle. Les lis ne filent
pas !
Cette dernière formule frappa
fortement les esprits.
Philippe de Poitiers donna son
accord à une rédaction assez tortueuse, qui remettait les décisions à de
lointaines échéances.
— Faisons en sorte que les
questions soient posées, mais sans préjuger les réponses, dit-il. Laissons une
ouverture aux espérances de chacun puisque aussi bien tout dépend d’une chose à
venir et encore inconnue.
À supposer donc que la reine
Clémence accouchât d’une fille, Philippe garderait la régence jusqu’à la
majorité de sa nièce aînée, Jeanne. À cette date seulement serait réglée la
succession, soit au profit des deux princesses qui se partageraient alors
France et Navarre, soit au profit de l’une d’elles en faveur de qui serait
maintenue la réunion des deux couronnes, soit au profit d’aucune, si elles renonçaient
à leurs droits, ou encore si l’assemblée des pairs, convoquée pour en débattre,
estimait que femme ne pouvait régner sur le royaume de France. Dans ce cas, la
couronne irait au plus
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