La Loi des mâles
ils
auront commis de fautes et d’inobservances, déclarait Philippe de Poitiers, et
mieux nous serons en mesure de sévir quand nous en prendrons décision. Pour les
missives, laissez-les s’acheminer, en les ouvrant au passage aussi souvent que
vous le pourrez, afin de m’en révéler le contenu. »
Ainsi fut on averti de quatre
candidatures qui échouèrent presque aussitôt que posées : celle d’abord
d’Arnaud Nouvel, ancien abbé de Fontfroide, dont le comte de Poitiers fit
savoir clairement par Jean de Forez « qu’il ne trouvait pas ce cardinal
assez ami du royaume de France » ; puis les candidatures de Guillaume
de Mandagout, d’Arnaud de Pélagrue et de Bérenger Frédol l’aîné. Gascons et
Provençaux se faisaient mutuellement échec. On apprit aussi que le redoutable
Caëtani commençait à écœurer une partie des Italiens, et jusqu’à son propre
cousin Stefaneschi, par la bassesse de ses intrigues et l’outrance démente de
ses calomnies.
N’avait-il pas suggéré d’un ton de
plaisanterie – mais on savait ce que de tels propos valaient dans sa
bouche ! – d’évoquer le diable et de s’en remettre à lui pour
désigner le pape, puisque Dieu semblait renoncer à faire connaître son
choix ?
À quoi Duèze, de sa voix
chuchotante, avait répondu :
— Ce ne serait pas la première
fois, Monseigneur Francesco, que Satan siégerait parmi nous.
Si Caëtani demandait une chandelle,
on chuchotait aussitôt qu’il en voulait fondre la cire pour procéder à un
envoûtement.
Les cardinaux, jusqu’à leur
internement inattendu, s’étaient opposés les uns aux autres pour des motifs de
doctrine, de prestige ou d’intérêt. Mais, à présent, d’avoir vécu ensemble tout
un mois dans un espace mesuré, ils se haïssaient pour des raisons personnelles,
presque des raisons physiques. Certains se négligeaient, ne se rasaient ni ne
se lavaient plus, et se laissaient aller à toutes les libertés de nature. Ce
n’était plus par promesses d’argent ou de bénéfices que tel candidat cherchait
à se gagner des voix, mais en partageant ses rations avec les gloutons, acte
formellement prohibé. Alors, les dénonciations couraient d’oreille à
oreille :
— Le camerlingue a encore mangé
trois plats de son parti…
Si les estomacs, par ces
compensations, parvenaient à peu près à se satisfaire, il n’en allait pas de
même d’autres appétits ; la chasteté, à laquelle certains cardinaux
avaient peu l’habitude de se soumettre, commençait d’aigrir furieusement le
caractère de quelques-uns. Une plaisanterie circulait parmi les
Provençaux :
— Si d’Auch est prêt à tout
pour faire une bonne chère, à Colonne il n’est chair qui ne soit bonne affaire.
Car les deux Colonna, l’oncle et le
neveu, deux seigneurs athlétiques et mieux bâtis pour porter la cuirasse que la
soutane, traquaient les damoiseaux dans les couloirs du couvent en leur
promettant une bonne absolution.
On ne cessait de se jeter à la tête
de vieux griefs :
— Si vous n’aviez pas canonisé
Célestin… si vous n’aviez pas renié Boniface… si vous n’aviez pas consenti à
partir de Rome… si vous n’aviez pas condamné les Templiers…
On s’accusait mutuellement de
faiblesse dans la défense de l’Église, d’ambition et de vénalité. À entendre ce
que les cardinaux disaient les uns des autres, on eût cru qu’aucun d’eux ne
méritait même un vicariat de campagne.
Seul Monseigneur Duèze semblait
insensible à l’inconfort, aux intrigues et à la médisance. Depuis deux ans, il
avait tant embrouillé les choses entre ses collègues qu’il n’avait plus besoin
de se mêler de rien, et pouvait laisser ses perverses machines tourner toutes
seules. Frugal par nature et par habitude, la maigreur de la pitance ne le
gênait nullement. Il avait choisi de partager sa cellule avec deux cardinaux
normands ralliés aux Provençaux, Nicolas de Fréauville, ancien confesseur de
Philippe le Bel, et Michel du Bec, qui, trop faibles pour constituer un parti,
ne figuraient point parmi les « papables ». On ne les redoutait pas,
et leur installation en compagnie de Duèze ne pouvait pas prendre l’aspect
d’une conjuration. D’ailleurs, Duèze voyait peu ses deux compagnons. À heure
fixe, il se promenait dans le cloître du couvent, généralement appuyé au bras
de Guccio, qui ne cessait de lui recommander :
— Monseigneur, ne marchez point
si vite ! Voyez,
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