La Loi des mâles
Jean XXII.
Guccio s’avança pour aider à se
lever le chétif vieillard devenu l’autorité suprême de l’univers.
— Non, mon fils, non, dit le
nouveau pape. Je vais m’efforcer de marcher seul. Puisse Dieu soutenir mes pas.
Les imbéciles crurent alors voir
s’opérer un miracle, tandis que les autres comprenaient qu’ils avaient été
bernés. Ils pensaient avoir voté pour un cadavre ; et voilà que leur élu
fort aisément circulait parmi eux, frétillant et frais comme une truite. Mais
ils ne pouvaient encore imaginer combien il leur mènerait la vie dure, pendant
dix-huit années !
Cependant le camerlingue avait déjà
brûlé dans la cheminée les papiers du vote, dont la fumée blanche annonçait au
monde l’élection du pontife. Les coups de pioche alors commencèrent à retentir
contre la maçonnerie qui murait le grand portail. Mais le comte de Forez était
prudent ; dès qu’on eut dégagé assez de pierres, il se glissa lui-même
dans l’embrasure.
— Oui, oui, mon fils, c’est
bien moi, lui dit Duèze qui avait rapidement trottiné jusque-là.
Alors, les maçons achevèrent
d’abattre le mur ; les deux vantaux furent ouverts et le soleil, pour la
première fois depuis quarante jours, pénétra dans l’église des Jacobins.
Une foule nombreuse attendait sur le
parvis, bourgeois et petites gens de Lyon, consuls, seigneurs, observateurs des
cours étrangères, qui tous se pressèrent et s’agenouillèrent tandis que
cardinaux et conclavistes sortaient, formés en procession. Un gros homme, au
teint olivâtre, qui se tenait au premier rang, auprès du comte de Forez, saisit
le bord de la robe du nouveau pape, quand celui-ci passa devant lui et porta
l’ourlet à ses lèvres.
— Oncle Spinello ! s’écria
Guccio Baglioni qui marchait derrière le pontife.
— Ah ! Vous êtes
l’oncle ! J’aime bien votre neveu, mon fils, dit Duèze au gros homme
agenouillé en lui faisant signe de se relever. Il m’a fidèlement servi, et je
veux le garder auprès de moi. Embrassez-le, embrassez-le !
Le capitaine général des Lombards se
redressa, et Guccio l’étreignit.
— J’ai tout racheté, comme tu
me l’avais dit et à six pour dix, souffla Tolomei dans l’oreille de Guccio,
pendant que Duèze bénissait la foule. Ce pape nous doit maintenant quelques
milliers de livres. Beau travail, mon garçon. Tu es le vrai neveu de mon sang.
Quelqu’un, derrière eux, faisait
aussi longue figure que les cardinaux ; c’était le seigneur Boccace,
principal voyageur des Bardi.
— Ah ! Tu étais donc à
l’intérieur, mécréant, dit-il à Guccio. Si j’avais su cela, je n’aurais jamais
vendu les créances.
— Et Marie ? Où est
Marie ? demanda anxieusement Guccio à son oncle.
— Ta Marie se porte bien. Elle
est aussi belle que tu as de malice, et si le petit Lombard qui lui enfle le
ventre tient de vous deux, il fera son chemin dans le monde. Mais va vite, va,
mon garçon ! Tu vois bien que le Saint-Père t’appelle.
III
LES DETTES DU CRIME
Le régent Philippe tenait
essentiellement à assister au sacre du pape afin de se poser en protecteur de
la chrétienté.
— L’élection de Duèze m’a coûté
assez de peine et de soucis, disait-il. Il est bien juste qu’il m’aide à
présent à assurer mon gouvernement. Je veux être à Lyon pour son couronnement.
Mais les nouvelles d’Artois ne
laissaient pas d’être inquiétantes. Robert avait pris sans difficulté Arras,
Avesnes, Thérouanne, et continuait de conquérir le pays. À Paris, Charles de
Valois l’appuyait en sous-main.
Fidèle à son habituelle tactique d’encerclement,
le régent commença par travailler sur les régions limitrophes de l’Artois, afin
d’éviter l’extension de la révolte. Aux barons de Picardie, il écrivit pour
leur rappeler leurs liens de fidélité à la couronne de France, leur faisant
entendre courtoisement qu’il ne tolérerait aucun manquement à leur
devoir ; un contingent de troupes et de sergents d’armes fut réparti dans
les prévôtés pour surveiller la contrée. Aux Flamands, qui se gaussaient
encore, au bout d’un an écoulé, de la misérable chevauchée du Hutin perdant son
armée dans la boue, Philippe proposa un nouveau traité de paix à des conditions
fort avantageuses pour eux.
— Dans ce gâchis qu’on nous
laisse à débrouiller, il faut bien perdre un peu pour sauver le tout, expliqua
le régent à ses conseillers.
Bien
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