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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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voulût aussitôt courir à Hesdin.
    Le sire de Souastre, celui qui
portait une femme nue sur la tête, et qui s’était beaucoup signalé dans les
tumultes de l’automne passé, dit :
    — Je crains, Monseigneur, que
le château ne soit pas bien en état de vous accueillir.
    — Eh quoi ? Il est
toujours occupé par le sire de Brosse, qu’y avait placé mon cousin Hutin ?
    — Non, non ; nous en avons
fait fuir Jean de Brosse ; mais nous avons aussi un peu ravagé le château
au passage.
    — Ravagé ? dit
Robert ; vous ne l’avez pas brûlé ?
    — Non, Monseigneur, non ;
les murs en sont fermes.
    — Mais vous l’avez un peu
pillé, pas vrai, mes gentillets ? Eh ! Si ce n’est que cela, vous
avez bien fait. Tout ce qui est à Mahaut la gueuse, Mahaut la truie, Mahaut la
catin, est à vous, Messeigneurs, et je vous en fais partage.
    Comment ne pas aimer un suzerain si
généreux ! Les alliés hurlèrent à nouveau qu’ils souhaitaient longue vie à
leur gentil comte Robert, et l’armée de la révolte se mit en route vers Hesdin.
    On arriva en fin d’après-midi devant
les quatorze tours de la ville forte des comtes d’Artois, où le château à lui
seul occupait une superficie de douze « mesures », soit près de cinq
hectares.
    Que d’impôts, de peines et de sueur
avait coûté aux petites gens d’alentour ce fabuleux édifice destiné, leur
avait-on dit, à les protéger des malheurs de la guerre ! Or, les guerres
se succédaient, mais la protection se montrait peu efficace ; et comme on
se battait essentiellement pour la possession du château, la population
préférait se terrer dans les maisons de torchis en priant Dieu que l’avalanche
passât à côté.
    Il n’y avait guère de monde dans les
rues, à faire fête au seigneur Robert. Les habitants, assez éprouvés par le sac
de la veille, se cachaient.
    Les abords du château n’offraient
rien de plus gai ; la garnison royale, pendue aux créneaux, commençait de
fleurer un peu la charogne. À la grand-porte, dite Porte des Poulets, le
pont-levis était abaissé. L’intérieur livrait un spectacle de désolation ;
des celliers s’écoulait le vin des cuves éventrées ; des volailles mortes
gisaient un peu partout ; on entendait des étables monter le meuglement
sinistre des vaches pas traites ; et sur les briques qui pavaient, luxe
rare, les cours intérieures, l’histoire du récent massacre s’inscrivait en
larges flaques de sang séché.
    Les bâtiments d’habitation de la
famille d’Artois comptaient cinquante appartements ; aucun n’avait été
épargné par les bons alliés de Robert. Tout ce qui ne pouvait être enlevé pour
décorer les manoirs du voisinage avait été détruit sur place.
    Disparue de la chapelle la grande
croix en vermeil, ainsi que le buste de Louis IX contenant un fragment
d’os et quelques cheveux du saint roi. Disparu le grand calice d’or que s’était
approprié Ferry de Picquigny et qu’on devait retrouver en vente, un peu plus
tard, chez un boutiquier parisien. Envolés, les douze volumes de la
bibliothèque ; escamoté l’échiquier de jaspe et de calcédoine. Avec les
robes, les peignoirs, le linge de Mahaut, les petits seigneurs s’étaient
fournis de beaux cadeaux pour leurs dames d’amour. Des cuisines même on avait
déménagé les réserves de poivre, de gingembre, de safran et de cannelle… [16]
    On marchait sur la vaisselle brisée,
les brocarts déchirés ; on ne voyait que courtines de lits écroulées,
meubles fendus, tapisseries arrachées. Les chefs de la révolte, un peu penauds,
suivaient Robert dans sa visite ; mais à chaque découverte le géant
éclatait d’un rire si large, si sincère, qu’ils se sentirent bientôt
ragaillardis.
    Dans la salle des écus, Mahaut avait
fait dresser, contre les murs, des statues de pierre représentant les comtes et
comtesses d’Artois depuis l’origine jusqu’à elle-même. Tous les visages se
ressemblaient un peu, mais l’ensemble avait grand air.
    — Ici, Monseigneur, fit
constater Picquigny, nous n’avons voulu porter la main sur rien.
    — Et vous avez eu tort, mon
compère, répondit Robert, car j’aperçois en ces images une tête au moins qui me
déplaît. Lormet ! Une masse !
    Empoignant le lourd fléau d’armes
que lui tendait son valet, il le fit tournoyer trois fois et atteignit d’un
coup formidable l’effigie de Mahaut. La statue vacilla sur son socle et la tête
se détachant

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