La Loi des mâles
du col alla éclater sur les dalles.
— Qu’il en arrive autant à la
tête vivante, après que tous les alliés d’Artois auront dessus pissé à long
jet, s’écria Robert.
Pour qui aime briser, il ne s’agit
que de commencer. La masse de fer, hérissée de pointes, se balançait,
menaçante, au bras du géant.
— Ah ! ma tante bien
gueuse, vous m’avez dépouillé de l’Artois, parce que celui-ci qui m’engendra…
Et Robert fit voler la tête de la
statue de son père, le comte Philippe.
— … fit la sottise de
mourir avant celui-là…
Et il décapita son grand-père, le
comte Robert II.
— Et j’irais vivre parmi ces
images que vous avez commandées pour vous faire un honneur auquel vous n’aviez
pas droit ? À bas ! À bas, mes aïeux ; nous recommencerons tout.
Les murs tremblaient, les débris de
pierre jonchaient le sol. Les barons d’Artois s’étaient tus, le souffle coupé
devant cette grande fureur qui dépassait de loin leurs propres violences.
Comment, en vérité, comment ne pas obéir avec passion à un tel chef !
Lorsqu’il eut terminé d’étêter sa
race, Robert jeta la masse d’armes à travers les vitraux d’une fenêtre, et dit
en s’étirant :
— Nous voici à l’aise pour
causer, maintenant… Messires, mes féaux, mes compaings, je veux d’abord qu’en
toutes villes, prévôtés et châtellenies que nous allons délivrer du joug de
Mahaut, il soit inscrit les griefs que chacun a contre elle, et que le registre
soit exactement tenu de ses mauvaisetés, afin d’en envoyer compte précis à son
beau-fils, messire Portes-Closes… car il enferme tout dès qu’il paraît, cet
homme-là, les villes, le conclave, le Trésor… À messire Court-de-l’œil,
autrement dit notre seigneur Philippe le Borgne [17] qui se proclame
régent et qui fut cause qu’on nous ôta, voici quatorze ans, ce comté, afin
qu’il puisse, lui, s’engraisser de la Bourgogne ! Que l’animal en crève,
la gorge nouée dans ses tripes !
Le petit Gérard Kiérez, l’homme
habile en procédure qui avait plaidé devant la justice royale la cause des
barons artésiens, prit alors la parole et dit :
— Il est un grief, Monseigneur,
qui intéresse non seulement l’Artois mais tout le royaume ; je gage fort
qu’il ne serait pas indifférent au régent qu’on sût comment son frère Louis
Dixième est mort.
— Par diable vif, Gérard,
crois-tu donc ce que je crois moi-même ? As-tu preuve qu’en cette affaire
aussi ma tante a poussé sa malice ?
— Preuve, preuve, Monseigneur,
c’est vite dit ! Mais fort soupçon à coup sûr, et qui peut être étayé par
des témoignages. Je connais à Arras une dame, qui s’appelle Isabelle de
Fériennes, et son fils Jean, vendeurs tous deux de magiceries, qui ont fourni à
certaine damoiselle d’Hirson, la Béatrice…
— Celle-là, je vous en ferai un
jour présent, mes compagnons, dit Robert. Je l’ai vue à quelques reprises, et
je devine, rien qu’à son air, que c’est régal de cuisse !
— Les Fériennes lui ont donc
fourni, pour Madame Mahaut, du poison à tuer les cerfs, deux semaines au plus
avant que le roi ne trépasse. Ce qui pouvait servir pour cerfs pouvait aussi
bien servir pour roi.
Les barons montrèrent, par leurs
gloussements, qu’ils appréciaient ce jeu de mots à leur portée.
— C’était de toute manière
poison pour porte-cornes, enchérit Robert. Dieu garde l’âme de cocu de mon
cousin Louis !
Les rires montèrent d’un ton.
— Et cela paraît d’autant plus
vrai, messire Robert, reprit Kiérez, que la dame de Fériennes s’est vantée
l’autre année d’avoir fabriqué le philtre qui remit en accord messire Philippe
que vous appelez le Borgne, et Madame Jeanne, la fille de Mahaut…
— … catin comme sa mère !
Vous avez eu bien tort, mes barons, de ne pas étouffer cette vipère quand vous
la teniez à votre merci, ici même, l’automne dernier, dit Robert. Il me faut
cette femme Fériennes et il me faut son fils. Veillez à les faire prendre dès
que nous serons à Arras. À présent nous allons manger, car cette journée m’a
donné grand-faim. Qu’on tue le plus gros bœuf aux étables et qu’on le fasse
rôtir entier ; qu’on vide l’étang des carpes de Mahaut, et qu’on nous
porte le vin que vous n’avez pas achevé de boire.
Deux heures après, le jour étant
tombé, toute cette fière compagnie était ivre à rouler. Robert envoya
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