La Loi des mâles
Lormet,
qui tenait assez bien le mélange des crus, rafler en la ville, avec l’aide
d’une bonne escorte, ce qu’il fallait de filles pour contenter l’humeur
gaillarde des barons. On ne regarda point de trop près si celles qu’on tirait
de leur lit étaient pucelles ou mères de famille. Lormet poussa vers le château
un troupeau en chemise de nuit, bêlant de frayeur. Les chambres saccagées de
Mahaut devinrent alors le lieu d’un friand combat. Les hurlements des femmes
donnaient de l’ardeur aux chevaliers qui s’empressaient à l’assaut comme s’ils
avaient chargé les infidèles, rivalisaient de prouesses au déduit, et
s’abattaient à trois sur le même butin. Robert tira pour lui-même, par les
cheveux, les meilleurs morceaux, sans mettre beaucoup de façon au déshabiller.
Comme il pesait plus de deux cents livres, ses conquêtes en perdirent même le
souffle pour crier. Pendant ce temps, le sire de Souastre, qui avait égaré son
beau casque, se tenait plié, les poings sur le cœur, et vomissait comme
gargouille pendant l’orage.
Puis ces vaillants, l’un après
l’autre, se mirent à ronfler ; il eût suffi d’un homme, cette nuit-là,
pour égorger sans fatigue toute la noblesse d’Artois.
Le lendemain, une armée aux jambes
molles, aux langues empesées et aux cervelles brumeuses se mit en chemin pour
Arras. Seul Robert paraissait aussi frais qu’un brochet sorti de la rivière, ce
qui lui acquit définitivement l’admiration de ses troupes. La route fut coupée
de haltes, car Mahaut possédait dans les parages quelques autres châteaux dont
la vue réveilla le courage des barons.
Mais lorsque, le jour de la
Sainte-Madeleine, Robert s’installa dans Arras, en vain chercha-t-on la dame de
Fériennes ; elle avait disparu.
II
LE LOMBARD DU PAPE
À Lyon, les cardinaux étaient
toujours enfermés. Ils avaient cru lasser le régent ; leur réclusion
durait depuis un mois. Les sept cents hommes d’armes du comte de Forez
continuaient de monter la garde autour de l’église et du couvent des Frères
Prêcheurs ; et si, pour respecter les formes, le comte Savelli, maréchal
du conclave, conservait les clés sur lui en permanence, ces clés ne servaient
pas à grand-chose, puisqu’elles ne s’appliquaient qu’à des portes murées.
Les cardinaux, jour après jour,
transgressaient la constitution de Grégoire et cela d’une conscience d’autant
plus légère qu’on avait envers eux usé de la contrainte et de la violence. Ils
ne manquaient pas de le dire, jour après jour, au comte de Forez, lorsque
celui-ci montrait sa tête casquée par l’étroit orifice qui servait à passer les
vivres. À quoi, jour après jour, le comte de Forez répondait qu’il était tenu
de faire respecter la loi du conclave. Ce dialogue de sourds pouvait se poursuivre
longtemps.
Les cardinaux ne logeaient plus
ensemble, comme le prescrivait la constitution ; car, bien que la nef des
Jacobins fût vaste, y vivre à près de cent personnes, sur de simples jonchées
de paille, était devenu bien vite insupportable. Et d’abord par la pestilence
qui se dégageait, dans la chaleur de l’été.
— Ce n’est pas parce que
Notre-Seigneur est né dans une étable que son vicaire doit nécessairement être
élu dans une porcherie, disait un cardinal italien.
Les prélats avaient donc débordé sur
le couvent qui communiquait avec l’église et s’inscrivait dans la même
enceinte. Repoussant les moines, ils s’étaient arrangés tant bien que mal à
trois par cellule ou par chambre de l’hôtellerie, laquelle se trouvait
évidemment fermée aux voyageurs. Chapelains et damoiseaux occupaient les
réfectoires.
Le régime alimentaire décroissant
n’était pas davantage observé ; l’eût-il été, on n’aurait plus eu bientôt
qu’une assemblée de squelettes. Les cardinaux se faisaient donc envoyer
quelques gâteries de l’extérieur, qu’on prétendait destinées à l’abbé et aux
moines. On appliquait beaucoup d’habileté et de constance à violer le secret
des délibérations ; des lettres, chaque jour, entraient au conclave ou en
sortaient, glissées dans le pain ou entre les plats vides. L’heure des repas,
de la sorte, devenait l’heure du courrier, et la correspondance qui prétendait
régler le sort de la chrétienté était fort tachée de graisse.
De tous ces manquements, le comte de
Forez instruisait le régent, lequel semblait s’en féliciter. « Plus
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