La Loi des mâles
m’avez remis les clés du Trésor, que les comptes ne vous
seraient pas demandés, et j’ai tenu parole. Vous, vous m’avez juré hommage et
fidélité, mais vous ne tenez point votre foi, mon oncle, car vous soutenez la
cause de Robert d’Artois.
Valois fit un geste de dénégation.
— Vous faites mauvais calcul,
poursuivit Philippe, car Robert va vous coûter fort cher. Il est
impécunieux ; il ne tire ressources que des revenus que lui sert le
Trésor, et que je viens de lui couper. C’est donc à vous qu’il va demander
subsides. Où les trouverez-vous, puisque vous n’avez plus les finances du
royaume ? Allons, ne vous crêtez point, ne devenez point rouge, ni ne vous
laissez aller à des paroles grosses que vous regretteriez, car je veux votre
bien. Donnez-moi l’assurance de ne plus aider Robert, et moi, de mon côté, je
m’en vais demander au Saint-Père que les annates du Valois et du Maine vous
soient versées directement, et non au Trésor.
Entre la haine et la cupidité, le
cœur du comte de Valois fut un instant déchiré.
— À combien s’élèvent ces
annales ? demanda-t-il.
— De dix à douze mille livres,
mon oncle, car il y faut comprendre les bénéfices qui n’ont pas été perçus dans
les derniers temps de mon père et pendant tout le règne de Louis.
Pour Valois, toujours endetté, ces
dix ou douze mille livres à recevoir dans l’année étaient miraculeusement
bienvenues.
— Vous êtes un bon neveu, qui
comprenez mes besoins, répondit-il. Je m’en vais enjoindre à Robert de
s’accommoder avec vous, et lui remontrer que, s’il n’y consent, je lui ôterai
mon soutien.
Philippe rentra par petites étapes,
réglant différentes affaires en chemin ; il fit un dernier arrêt à
Vincennes, pour porter à Clémence la bénédiction du nouveau pape.
— Je suis heureuse, dit la
reine, que notre ami Duèze ait pris le nom de Jean, car c’est celui aussi que
j’ai choisi pour mon enfant, par ce vœu que je fis, durant la tempête, sur la
nef qui m’amena en France.
Elle semblait toujours étrangère aux
problèmes du pouvoir, et uniquement occupée de ses souvenirs conjugaux ou de
ses soucis de maternité. Le séjour de Vincennes convenait à sa santé ;
elle avait repris beau visage et connaissait, dans l’embonpoint du septième
mois, ce répit que l’on voit parfois vers la fin des grossesses difficiles.
— Jean n’est guère un nom de
roi pour la France, dit le régent. Nous n’avons jamais eu de Jean.
— Mon frère, je vous dis que
c’est un serment que j’ai fait.
— Alors, nous le respecterons…
Si donc vous avez un mâle, il s’appellera Jean Premier…
Au palais de la Cité, Philippe
trouva sa femme parfaitement heureuse, pouponnant le petit Louis-Philippe qui
criait de toute la force de ses huit semaines.
Mais la comtesse Mahaut, aussitôt
qu’avertie du retour de son gendre, arriva de l’hôtel d’Artois, manches
retroussées, les joues en feu, l’œil furieux.
— Ah ! On me trahit bien,
mon fils, dès que vous n’êtes pas là ! Savez-vous ce qu’est allé manœuvrer
en Artois votre gueux de Gaucher ?
— Gaucher est connétable, ma mère,
et voici peu que vous ne le trouviez pas gueux du tout. Que vous a-t-il donc
fait ?
— Il m’a donné tort ! cria
Mahaut. Il m’a condamnée en tout. Vos envoyés s’entendent comme compères de
foire avec mes vassaux ; ils ont pris sur eux de déclarer que je ne
rentrerais pas en Artois… vous entendez bien, m’interdire dans mon
comté !… avant que ne soit scellée cette mauvaise paix que j’ai refusée à
Louis l’autre décembre et ils veulent en plus que je restitue je ne sais
quelles tailles que d’après eux j’aurais indûment perçues !
— Tout ceci me paraît
équitable. Mes envoyés ont suivi bien fidèlement mes ordres, répondit calmement
Philippe.
La surprise laissa Mahaut un instant
interdite, la bouche entrouverte, les yeux arrondis. Puis elle reprit, criant
plus fort :
— Équitable de piller mes
châteaux, de pendre mes sergents, de ravager mes moissons ! Et ce sont vos
ordres donc, de soutenir mes ennemis ? Vos ordres ! Voilà la belle
façon dont vous me payez de tout ce que j’ai fait pour vous !
Une grosse veine violette se
gonflait sur son front.
— Je ne vois pas, ma mère,
hormis de m’avoir donné votre fille, répliqua Philippe, que vous ayez tant fait
pour moi qu’il me faille léser mes sujets et compromettre
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