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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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d’aller se présenter ailleurs
et de faire constater que je n’y étais pas… Tu penses vraiment qu’il
viendra ?
    — Je le crois, Monseigneur, car
il semblait fort ébranlé. Je lui ai dénombré votre ost ; je lui ai
représenté aussi que Monseigneur le connétable tenait les lisières de Flandre
et les villes du Nord, et qu’il serait donc saisi comme entre pinces à ferrer,
sans pouvoir même fuir par les portes. Je lui ai remis enfin la lettre de
Monseigneur de Valois lui conseillant de se rendre sans combat, puisqu’il ne
pouvait qu’être battu, et l’informant que vous étiez si courroucé contre lui
qu’il devait craindre, si vous le preniez en armes, d’avoir la tête tranchée.
Et ceci a paru beaucoup l’assombrir.
    Le régent inclina un peu son long
buste vers l’encolure de son cheval. Décidément, il n’aimait pas porter ces
vêtements de guerre, dont les vingt livres de fer lui pesaient aux épaules et
l’empêchaient de s’étirer.
    — Il s’est retiré alors avec
ses barons, poursuivit Gamaches, et je ne sais point vraiment ce qu’ils se sont
dit. Mais j’ai bien compris que certains lui faisaient défaut, tandis que d’autres
le suppliaient de ne pas les abandonner. Enfin il est revenu à moi et m’a fait
la réponse que je vous ai portée, en m’assurant qu’il avait trop grand respect
de Monseigneur le régent pour lui désobéir en rien.
    Philippe de Poitiers demeurait
incrédule. Cette soumission trop facile l’inquiétait, et lui faisait redouter
un piège. Plissant les paupières, il regardait le triste paysage.
    — L’endroit serait assez bon
pour nous tourner et nous tomber sur le dos pendant que nous sommes ainsi
plantés à attendre. Corbeil ! Clichy ! dit-il s’adressant à ses deux
maréchaux. Dépêchez quelques bannerets en reconnaissance par les deux ailes et
faites fouiller les vallons pour vous assurer qu’aucune troupe ne s’y trouve
muchée, ni ne chemine sur nos routes de revers. Et si, à tierce sonnée au
clocher qui est derrière nous, Robert ne s’est pas présenté, ajouta-t-il pour
Louis d’Évreux, nous nous mettrons en marche.
    Mais bientôt on entendit des cris
dans les rangs des bannières.
    — Le voici ! Le
voici !
    Le régent, de nouveau, plissa les
paupières, mais ne vit rien.
    — En face, Monseigneur, lui
dit-on. Juste au droit de votre monture, sur la crête !
    Robert d’Artois arrivait sans
compagnons, sans écuyer, sans même un valet. Il avançait au pas, droit sur son
immense cheval, et paraissait, dans cette solitude, plus grand encore qu’il
n’était. Sa haute silhouette se détachait, rougeoyante, sur le ciel tourmenté
et il semblait que la pointe de sa lance accrochât les nuées.
    — C’est encore manière de vous
narguer, Monseigneur, que d’arriver ainsi devant vous.
    — Eh ! qu’il me nargue,
qu’il me nargue ! répondit Philippe de Poitiers.
    Les chevaliers envoyés en
reconnaissance revenaient au galop, assurant que les environs étaient
parfaitement tranquilles.
    — Je l’aurais cru plus acharné
dans la désespérance, dit le régent.
    Un autre, voulant faire étalage de
panache, se fût sans doute, vers cet homme seul, avancé seul. Mais Philippe de
Poitiers avait une autre conception de sa dignité, et ce n’était pas geste de
chevalerie qu’il lui importait d’accomplir, mais geste de roi. Il attendit
donc, sans bouger d’un pas, que Robert d’Artois, tout boueux, tout fumant,
s’arrêtât devant lui.
    L’armée entière retenait sa
respiration et l’on n’entendait que le cliquetis des mors dans la bouche des
chevaux.
    Le géant jeta sa lance sur le
sol ; le régent contempla cette lance dans le chaume, et ne dit rien.
    Robert détacha de sa selle son
heaume et sa longue épée à deux mains, et les envoya rejoindre la lance.
    Le régent se taisait toujours ;
il n’avait pas relevé les yeux vers Robert ; il gardait le regard rivé sur
les armes, comme s’il attendait encore autre chose.
    Robert d’Artois se décida à
descendre de cheval, fit deux pas en avant, et, les nerfs tremblant de colère,
finit par mettre un genou en terre pour rencontrer les yeux du régent.
    — Beau cousin… s’écria-t-il en
ouvrant les bras.
    Mais Philippe l’arrêta court.
    — Mon cousin, n’avez-vous pas
faim ? lui demanda-t-il.
    Et comme l’autre, qui s’apprêtait à
une grande scène avec échange de paroles nobles, relevage, accolade
chevaleresque, restait tout

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