La Loi des mâles
réussi à retrouver la dame de
Fériennes, fournisseuse en poison de la comtesse d’Artois. Il l’avait retrouvée
en faisant suivre deux espions du régent qui la cherchaient aussi. Isabelle de
Fériennes et son fils avaient été arrêtés alors qu’ils vendaient le matériel
nécessaire à un envoûtement. Les gens de Robert avaient supprimé les espions du
régent, et maintenant la magicienne, après avoir dicté une belle et complète
confession, était gardée dans un château d’Artois.
« Tu feras belle mine, mon
cousin, se disait-il en regardant Philippe, lorsque je commanderai à Jean de
Varennes de m’amener cette femme et que je la présenterai au Conseil des pairs,
afin qu’elle avoue comment ta belle-mère, pour ton compte, a su assassiner ton
frère ! Et ton cher pape lui-même n’y pourra rien. »
Durant tout le voyage, le régent
garda Robert à côté de lui ; aux haltes, ils mangeaient à la même
table ; la nuit, dans les monastères ou les châteaux royaux, ils
couchaient porte à porte, et les nombreux serviteurs du régent entouraient
Robert d’une surveillance étroite. Mais à boire, dîner et dormir auprès de son
ennemi, on ne peut se défendre de certains sentiments fraternels à son
égard ; les deux cousins n’avaient jamais connu pareille intimité. Le
régent ne semblait pas tenir particulière rigueur à Robert des fatigues et des
frais qu’il lui avait occasionnés ; il paraissait même s’amuser assez des
grasses plaisanteries du géant et de ses airs de fausse franchise.
« Encore un peu, et il va
m’aimer tout de bon, le gueux ! se disait Robert. Comme je le berne, comme
je le berne bien ! »
Au matin du 11 novembre, alors
qu’ils arrivaient à la porte de Paris, Philippe arrêta soudain son cheval.
— Mon bon cousin, vous vous
êtes l’autre jour, à Amiens, porté garant de la remise à mes maréchaux de tous
les châteaux. Or, j’apprends avec peine que plusieurs de vos amis n’obéissent
pas au traité et qu’ils refusent de livrer les places.
Robert sourit et écarta les mains
d’un geste d’impuissance.
— Vous vous êtes porte garant,
répéta Philippe.
— Eh oui, mon cousin, j’ai
souscrit à tout ce que vous désiriez. Mais comme vous m’avez ôté tout pouvoir,
c’est à vos maréchaux de vous faire obéir.
Le régent caressa pensivement
l’encolure de son cheval.
— Est-il vrai, Robert,
reprit-il, que vous m’avez inventé le surnom de Portes-Closes ?
— C’est vrai, mon cousin, c’est
vrai, dit l’autre en riant. Car vous vous servez fort des portes pour
gouverner.
— Eh bien, cousin, dit le
régent, vous irez donc loger en la prison du Châtelet, et vous y resterez
jusqu’à ce que le dernier château d’Artois me soit livré.
Robert, pour la première fois depuis
sa reddition, pâlit un peu. Tout son plan s’écroulait, et la dame de Fériennes
ne pourrait pas lui servir de sitôt.
TROISIÈME PARTIE
DE DEUIL EN SACRE
I
UNE NOURRICE POUR LE ROI
Jean I er , roi de
France, fils posthume de Louis X Hutin, naquit dans la nuit du 13 au 14
novembre 1316, au château de Vincennes.
La nouvelle fut aussitôt proclamée
et les seigneurs endossèrent leurs vêtements de soie. Dans les tavernes, les
truands et les ivrognes, pour qui tout événement était occasion de boire,
commencèrent dès midi à se saouler et à braire. Et les négociants en objets
fins, orfèvres, marchands de soieries, fabricants de draps précieux et de
passementeries, vendeurs d’épices, de poissons rares et de produits
d’outre-mer, se frottèrent les mains en rêvant aux fournitures des réjouissances.
Les rues souriaient. Les gens
s’abordaient, comme ragaillardis, en s’écriant :
— Alors, mon compère, nous
avons un roi !
La joie pénétrait jusque dans les
couvents où abbés et aumôniers annonçaient et commentaient l’événement.
À l’hôtellerie du couvent des
Clarisses, Marie de Cressay, quatre jours plus tôt, avait mis au monde un petit
garçon qui pesait fortement ses huit livres, promettait d’être blond ainsi que
sa mère et tétait, les yeux fermés, avec la voracité d’un jeune chiot.
À tout instant les novices,
encapuchonnées de blanc, entraient dans la cellule de Marie pour la voir langer
son enfant, pour contempler son visage radieux pendant qu’elle allaitait, pour
regarder cette poitrine rose, abondante, épanouie, pour admirer, elles
destinées à une virginité
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