La Loi des mâles
Clarisses.
À la mère abbesse, madame de
Bouville expliqua que Marie avait eu la cervelle fort ébranlée par la mort du
petit roi, et qu’il ne fallait tenir nul compte des choses folles qu’elle
pourrait dire.
— Elle nous a fait
grand-peur ; elle hurlait et ne reconnaissait même plus son propre enfant.
Madame de Bouville exigea que la
jeune femme ne reçût aucune visite, même des sœurs et novices du couvent, et
qu’on la tînt cloîtrée dans le plus grand calme, le plus grand silence.
— Si quelqu’un se présente pour
elle, qu’on ne l’autorise pas à pénétrer et qu’on envoie m’avertir.
Ce même jour, deux draps d’or
fleurdelisés, huit aunes de cendal noir et deux draps de Turquie brodés aux
armes de France furent apportés à Vincennes pour servir à l’enterrement du
premier roi de France qui ait reçu le nom de Jean. Et ce fut bien un enfant
nommé Jean qui s’en alla effectivement dans un coffre si petit qu’on ne crut
point utile de le placer sur un char, mais qu’on le posa simplement sur le bât
d’une mule.
Maître Geoffroy de Fleury, argentier
du Palais, nota sur ses registres les frais de ces obsèques pour cent onze livres
dix-sept sols et huit deniers le samedi 20 novembre 1316.
Il n’y eut point le long cortège
rituel, ni de cérémonie à Notre-Dame. On gagna immédiatement Saint-Denis où
l’inhumation fut faite aussitôt après la messe. Aux pieds du gisant de
Louis X, encore tout blanc, tout frais dans sa pierre nouvellement
taillée, on avait ouvert une étroite fosse ; là fut descendu, entre les
ossements des souverains de France, l’enfant de Marie de Cressay, demoiselle
d’Ile-de-France, et de Guccio Baglioni, marchand siennois.
Adam Héron, premier chambellan et
maître de l’hôtel, s’avança au bord de la petite tombe et dit, regardant son
maître Philippe de Poitiers :
— Le Roi est mort, vive le
Roi !
Le règne de Philippe V le Long
était commencé ; Jeanne de Bourgogne devenait reine de France, et Mahaut
d’Artois triomphait.
Trois personnes seulement dans le
royaume savaient que le vrai roi vivait. L’une avait juré le secret sur les
Saintes Écritures, et les deux autres tremblaient que ce secret ne fût pas
tenu.
VI
LA FRANCE EN MAINS FERMES
Pour conquérir le trône,
Philippe V avait usé, à l’intérieur des institutions monarchiques, d’un
procédé éternel et qu’en langage moderne on nomme le coup d’État.
Se trouvant, par l’autorité de sa
personne et l’appui de partisans dévoués, investi des principales fonctions
royales, il avait fait entériner, par l’assemblée de juillet, un règlement de
succession qui pouvait éventuellement le favoriser, mais seulement après de
longs délais et l’application de clauses préalables. Survenait, en la
disparition du petit roi, l’événement propice ; Philippe, aussitôt,
malmenant un peu la légalité qu’il avait lui-même établie, s’appropriait la
couronne sans plus observer ni délais ni préalables.
Un pouvoir obtenu dans de semblables
conditions était forcément menacé, au moins en son début.
Tout occupé à consolider sa
position, Philippe n’eut guère le temps de savourer sa victoire ni de se
contempler lui-même en son rêve accompli. La cime était étroite où il venait
d’accéder.
Les langues marchaient fort à
travers le royaume ; le soupçon se répandait. La poigne du nouveau roi
était assez connue et tous ceux qui risquaient d’en pâtir se serrèrent autour
du duc de Bourgogne.
Celui-ci courut sur Paris pour
contester la désignation de son futur beau-père. Il exigeait la convocation du
Conseil des Pairs et la reconnaissance de la petite Jeanne de Navarre comme
reine de France.
Philippe, pour s’assurer la régence,
avait sacrifié la comté de Bourgogne ; pour garder la royauté il offrit de
séparer les deux couronnes de France et de Navarre, si récemment réunies, et de
laisser le petit royaume pyrénéen à la fille douteuse de son frère.
Mais si Jeanne était jugée digne de
régner sur la Navarre, n’était-elle pas digne de régner également sur la
France ? Le duc Eudes en décida ainsi et refusa la proposition. On irait
donc à l’épreuve de force.
Eudes repartit au galop pour Dijon
d’où il lança, au nom de sa nièce, une proclamation à tous les seigneurs
d’Artois et de Picardie, de Brie et de Champagne, les invitant à refuser
obéissance à un usurpateur.
Il s’adressa dans le
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