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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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endeuillées,
et qui pourtant finissaient heureuses, parmi une vaste progéniture ! Sur
douze ou quinze enfants qu’une femme mettait au monde, il était habituel qu’il
n’en survécût pas plus de la moitié.
    — Mais je comprends, continuait
madame de Bouville. C’est pour le premier que c’est le plus dur.
    — Mais non, vous ne comprenez
pas ! cria enfin Marie à travers ses sanglots. Celui-là… celui-là je ne
pourrai jamais le remplacer !
    Le bébé qu’on venait de lui tuer
c’était l’enfant de l’amour, né d’un désir plus violent et d’une foi plus forte
que toutes les lois du monde et toutes ses contraintes ; c’était le rêve
dont elle avait payé le prix par deux mois d’outrages et quatre mois de
couvent, le présent parfait qu’elle s’apprêtait à offrir à l’homme qu’elle
avait choisi, la plante miraculeuse en laquelle elle avait espéré voir fleurir,
chaque jour de sa vie, ses amours traversées et merveilleuses !
    — Non, vous ne pouvez pas
comprendre ! gémissait-elle. Vous n’avez pas été chassée de votre famille
à cause d’un enfant. Non, je n’en aurai pas d’autre !
    Quand on commence à décrire son
malheur, à le traduire en termes intelligibles, c’est que déjà on l’a admis. Au
déchirement, à l’écrasement, se substituait lentement le second état de la
douleur, la contemplation cruelle.
    — Je le savais, je le savais,
quand je ne voulais pas venir ici, que c’était le malheur qui
m’attendait !
    Madame de Bouville n’osait répondre.
    — Et que dira Guccio quand il
saura ? dit Marie. Comment pourrai-je lui apprendre ?
    — Il ne doit pas savoir, mon
enfant, jamais ! s’écria madame de Bouville. Personne ne doit savoir que
le roi est vivant, car ceux qui ont manqué leur coup n’hésiteraient pas à
frapper une seconde fois. Vous-même êtes en danger, car vous étiez de concert
avec nous. Il vous faut garder le secret jusqu’à ce qu’on vous autorise à le
révéler.
    Et à son mari, elle chuchota :
    — Va chercher les Evangiles.
    Quand Bouville fut revenu avec le
gros livre qu’il avait pris dans la chapelle, ils obtinrent de Marie qu’elle y
posât la main et jurât de garder un silence absolu, même envers le père de son
enfant mort, et même en confession, sur le drame qui venait de se dérouler.
Seuls Bouville ou sa femme pourraient la délivrer de son serment.
    Dans l’état où elle était, Marie
accepta de jurer tout ce qu’on lui demanda. Bouville lui promit une pension.
Mais elle se moquait bien de l’argent !
    — Et maintenant il vous faut
garder avec vous le roi de France, et dire à tous qu’il est vôtre, ajouta
madame de Bouville.
    Marie se rebella. Elle ne voulait
plus toucher l’enfant pour lequel le sien avait été assassiné. Elle ne voulait
plus rester à Vincennes ; elle voulait fuir, n’importe où, et aller
mourir.
    — Vous mourrez vite, soyez-en
sûre, si vous ouvrez la bouche. Mahaut ne tardera pas à vous faire empoisonner
ou poignarder.
    — Non, je ne dirai rien, je
vous le promets. Mais laissez-moi, laissez-moi partir !
    — Vous partirez, vous partirez.
Mais vous n’allez pas le laisser périr. Vous voyez bien qu’il a faim. Nourrissez-le
au moins aujourd’hui, dit madame de Bouville en lui mettant le vrai roi dans
les bras.
    Quand Marie eut le bébé contre elle,
ses pleurs redoublèrent.
    — Gardez-le. Il sera comme le
vôtre, insista madame de Bouville. Et quand le temps viendra de le remettre au
trône, vous serez honorée à la cour avec lui ; vous serez sa deuxième
mère.
    Ce n’étaient pas les hypothétiques
honneurs promis par la femme du curateur qui pouvaient en ce moment convaincre
Marie, mais la présence de cette petite vie qu’elle tenait entre ses mains et
sur laquelle elle allait opérer, inconsciemment, un transfert, un report de
sentiments maternels.
    Elle posa les lèvres sur la tête
duvetée du bébé et, d’un geste devenu machinal, ouvrit son corsage en
murmurant :
    — Non, je ne peux pas te
laisser périr, mon petit Jean… mon petit Jean…
    Les Bouville eurent un soupir de
soulagement. Ils avaient gagné, au moins dans l’immédiat.
    — Il ne faut point qu’elle soit
encore à Vincennes demain quand on viendra enlever son enfant, dit très bas madame
de Bouville à son mari.
    Le lendemain, Marie, prostrée et
laissant madame de Bouville décider de toutes choses, fut reconduite avec
l’enfant au couvent des

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