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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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cacher si grave chose à son conjoint ! Et quand nous pourrons faire
triompher la vérité et qu’on viendra chercher le roi pour le mettre au trône,
que direz-vous alors ? Vous êtes trop honnête fille, et trop noble de
sang, pour consentir à pareille vilenie.
    Toutes ces questions, Marie se les
était posées cent et cent fois, en chaque heure de sa solitude. Elle ne pensait
à rien d’autre ; elle en devenait folle. Et elle savait bien la
réponse ! Elle savait que, dès qu’elle se retrouverait dans les bras de
Guccio, la feinte et le silence lui seraient impossibles, non point
« parce que c’était péché » comme disait madame de Bouville, mais
parce que l’amour lui interdirait l’atrocité d’un tel mensonge.
    — Guccio me comprendra, Guccio
m’absoudra. Il saura que cela s’est passé sans ma volonté ; il m’aidera à
supporter ce fardeau. Guccio ne dira rien, Madame, je puis en jurer pour lui
comme pour moi !
    — On ne peut jurer que pour
soi-même, mon enfant. Et un Lombard, en plus ; vous pensez comme il irait
se taire ! Il en tirera usure.
    — Madame, vous
l’insultez !
    — Mais non je ne l’insulte pas,
ma bonne, je connais le monde. Vous avez juré de ne pas parler, même en
confession. C’est le roi de France que vous avez en garde ; et vous ne
serez relevée de votre serment que quand le temps sera venu.
    — De grâce, Madame, reprenez le
roi et délivrez-moi.
    — Ce n’est point moi qui vous
l’ai remis, c’est la volonté de Dieu. C’est dépôt sacré que vous avez là !
Auriez-vous trahi Notre-Seigneur le Christ s’il vous avait été donné à garder
pendant le massacre des Innocents ?… Cet enfant doit vivre. Il faut que
mon époux vous ait tous deux sous sa surveillance, et qu’on puisse à tout
instant vous joindre, et non que vous partiez en Avignon comme il en est
question.
    — J’obtiendrai donc de Guccio
que nous demeurions où vous voudrez ; je vous assure qu’il ne parlera pas.
    — Il ne parlera pas parce que
vous ne le reverrez point !
    La lutte, coupée par la tétée du
petit roi, dura l’après-midi entier. Les deux femmes se battaient comme deux
bêtes au fond d’un piège. Mais la petite madame de Bouville avait les dents et
les griffes plus dures.
    — Et qu’allez-vous faire de
moi, alors ? Allez-vous m’enfermer ici pour la vie ? Gémissait Marie.
    « Je le voudrais bien, pensait
madame de Bouville. Mais l’autre va arriver, avec sa lettre du pape…»
    — Et si votre famille
consentait à vous reprendre ? proposa-t-elle. Messire Hugues, je crois,
pourrait parvenir à décider vos frères.
    Rentrer à Cressay, entre des parents
hostiles, accompagnée d’un enfant qui serait considéré comme celui du péché
alors que, de tous les enfants de France, il était le plus digne d’honneur…
Renoncer à tout, se taire, vieillir, en n’ayant plus rien à faire qu’à
contempler la monstrueuse fatalité, le désespérant gâchis d’un amour que rien
n’aurait dû altérer. Tant de rêves écroulés !
    Marie se cabra ; elle retrouva
la force qui l’avait poussée, contre les lois et contre sa famille, à se donner
à l’homme qu’elle avait choisi. Brusquement elle refusa.
    — Je reverrai Guccio, je lui
appartiendrai, je vivrai avec lui ! s’écria-t-elle.
    Madame de Bouville frappa à petits
coups, lentement, le bras de son siège.
    — Vous ne reverrez point ce
Guccio, répondit-elle, parce que s’il approchait de ce couvent, ou de tout
autre lieu clos où nous pourrions vous enfermer, et que vous lui parliez une
minute, ce serait pour lui la dernière. Mon époux, vous le savez, est un homme
énergique et redoutable s’il s’agit de la sauvegarde du roi. Si vous tenez trop
à revoir cet homme, vous pourrez le contempler, mais avec une miséricorde entre
les deux épaules.
    Marie s’affaissa un peu sur
elle-même.
    — C’est assez de l’enfant,
murmura-t-elle, pour ne point aussi tuer le père.
    — Il ne tient qu’à vous, dit
madame de Bouville.
    — Je ne pensais pas qu’à la
cour de France on fût si peu marchand de la mort des gens. Voilà la belle cour
que le royaume respecte. Il me faut bien vous dire, Madame, que je vous hais.
    — Vous êtes injuste, Marie. Ma
tâche est lourde et je vous défends contre vous-même. Vous allez écrire ce que
je vous dicterai.
    Vaincue, désemparée, les tempes en
feu et le regard obscurci par les pleurs, Marie traça péniblement des

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