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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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homme,
amaigri, frissonnant, en regardant la forêt décharnée.
    « Paris !… enfin
Paris ! » se disait Guccio Baglioni en passant la porte
Saint-Jacques.
    Paris était morose et froid ;
le mouvement de la vie, comme toujours après les fêtes de l’an neuf, semblait
s’y être arrêté, et ce janvier-là plus encore que de coutume par suite du
départ de la cour.
    Mais le jeune voyageur qui rentrait
après six mois d’absence ne voyait pas les pans de brume accrochés aux toits,
ni les rares passants transis ; pour lui, la ville avait visage de soleil
et d’espérance, car cet « enfin Paris ! » qu’il se répétait
comme la plus heureuse chanson du monde voulait dire : « Enfin, je
vais retrouver Marie ! »
    Guccio portait pelisson fourré et
cape de pluie en laine de chameau ; à sa ceinture, il sentait peser une
bourse à cul-de-vilain [23] emplie de bonnes livres marquées au coin du pape ; il était coiffé d’un
galant chapeau de feutre rouge retroussé en arrière et formant longue pointe
au-dessus du front. On ne pouvait être mieux vêtu pour plaire. On ne pouvait
non plus éprouver plus grand plaisir de vivre qu’il n’en ressentait.
    Il sauta de selle, dans la cour de
la rue des Lombards, et, lançant en avant sa jambe toujours un peu raide depuis
l’accident de Marseille, courut se jeter dans les bras de Tolomei.
    — Mon cher oncle, mon bon
oncle ! Avez-vous vu mon fils ? Comment est-il ? Et Marie, comment
a-t-elle supporté ? Que vous a-t-elle dit ? Quand
m’attend-elle ?
    Tolomei, sans un mot, lui tendit la
lettre de Marie de Cressay. Guccio la lut deux fois, trois fois. Sur les
mots : « Sachez que j’ai pris grande aversion pour mon péché et ne
veux plus revoir jamais celui qui est cause de ma honte. Je me veux racheter de
ce déshonneur… » il s’écria :
    — Ce n’est pas vrai, ce n’est
pas possible ! Ce n’est pas elle qui a pu écrire cela !
    — Ce n’est point son
écriture ? demanda Tolomei.
    — Si.
    Le banquier posa la main sur
l’épaule de son neveu.
    — Je t’aurais prévenu à temps,
si je l’avais pu, dit-il. Mais je n’ai reçu cette lettre que le jour
d’avant-hier, après être allé voir Bouville…
    Guccio, le regard ardent et fixe,
les dents serrées, ne l’écoutait pas. Il demanda l’adresse du couvent.
    — Le faubourg
Saint-Marcel ? J’y vais, dit-il.
    Il réclama son cheval, qu’on avait à
peine fini de bouchonner, retraversa la ville sans plus rien en voir, et alla
sonner à la porte des Clarisses. Là, il lui fut répondu que la demoiselle de
Cressay était partie de la veille, emmenée par deux gentilshommes dont l’un
portait une barbe. Il eut beau brandir le sceau du pape, tempêter, faire
scandale, il ne put rien obtenir de plus.
    — L’abbesse ! Je veux voir
la mère abbesse ! criait-il.
    — Les hommes ne peuvent point
pénétrer dans la clôture.
    On finit par le menacer d’aller
chercher les sergents du guet.
    Hors de souffle, le teint gris, les
traits changés, Guccio revint rue des Lombards.
    — Ce sont ses frères, ses gueux
de frères, qui l’ont reprise ! annonça-t-il à Tolomei. Ah ! J’ai été
trop longtemps parti. La belle foi qu’elle m’avait jurée là, et qui n’a pas
tenu six mois ! Les dames de noblesse, à ce qu’on nous prétend dans les
romans, attendent dix ans leur chevalier qui est à la croisade. Mais un
Lombard, cela ne s’attend point ! Car c’est cela, mon oncle, et rien
d’autre. Relisez les termes de sa lettre ! Ce ne sont qu’insultes et
mépris. On pouvait l’obliger à ne point me revoir, mais non à me gifler de la
sorte au visage… Enfin, mon oncle ! Nous sommes riches de dizaines de
milliers de florins ; les plus hauts barons viennent nous implorer de
payer leurs dettes, le pape lui-même m’a pris pour conseil et confident pendant
tout le conclave, et voilà ces crottés de campagne qui me crachent au front du
haut de leur château fort qu’on jetterait bas d’une poussée d’épaule. Il suffit
qu’ils paraissent, ces deux galeux, pour que leur sœur me renie. Comme on se
trompe, quand on croit d’une fille qu’elle n’est pas de même sorte que ses parents !
    Le chagrin, chez Guccio, se tournait
vite en colère et les ressentiments de l’orgueil l’aidaient à se défendre du
désespoir. Il avait fini d’aimer, mais non point de souffrir.
    — Je ne comprends point, disait
Tolomei désolé. Elle paraissait si aimante,

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