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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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rien.
    Pour la seconde fois, la petite toux
s’éleva derrière la tapisserie. Bouville changea de visage, bafouilla, bégaya.
    — C’est que, messer… Oui, je
voulais dire… oui, je voulais vous l’apprendre tout de suite, mais… à être
dérangé sans cesse, je l’avais omis. Ah ! oui, maintenant il faut que je
vous le dise… Votre… la femme de votre neveu, puisqu’ils sont mariés
m’assurez-vous… nous lui avons demandé… Voilà, nous étions en peine de
nourrice, et de bonne grâce, de très bonne grâce, sur la prière de ma femme,
elle a nourri le petit roi… le peu de temps, hélas ! qu’il a vécu.
    — Elle est donc venue
ici ; vous l’avez fait sortir du couvent ?
    — Et nous l’y avons
ramenée ! J’avais gêne à vous l’avouer… Mais voyez-vous le temps pressait.
Et tout s’est passé si vite !
    — Mais, messire, n’en soyez pas
honteux. Vous avez fort bien agi. Cette belle Marie ! Elle a donc nourri
le pauvre petit roi ? Que voilà une surprenante nouvelle et combien
honorable ! C’est pitié seulement qu’elle n’ait pas eu à donner son lait
plus longtemps, dit Tolomei qui regrettait déjà tous les avantages qu’il aurait
pu tirer d’une telle situation. Alors il vous est aisé de la faire sortir à
nouveau ?
    — Eh non ! Pour la faire
sortir tout à fait, il faut le consentement de la famille. Avez-vous revu sa
famille ?
    — Jamais. Ses frères, qui
avaient mené si grand tapage, ont semblé bien aise de s’en débarrasser et n’ont
jamais reparu.
    — Où vivent-ils ?
    — Chez eux, à Cressay.
    — Cressay… Où cela se
trouve-t-il donc ?
    — Mais près de Neauphle, où
j’ai un comptoir.
    — Cressay… Neauphle… fort bien.
    — En vérité, vous êtes étrange
homme, Monseigneur, si j’ose vous le dire ! s’écria Tolomei. Je vous
confie une fille, je vous conte tout à son propos ; vous l’allez chercher
pour nourrir l’enfant de la reine, elle vit ici huit jours, dix jours…
    — Cinq, précisa Bouville.
    — Cinq jours, reprit Tolomei,
et vous ne savez pas d’où elle vient ni presque comment elle se nomme !
    — Si, je sais, je savais bien,
dit Bouville en rougissant. Mais par moments la tête me fuit.
    Il ne pouvait pas une troisième fois
courir vers sa femme. Que ne venait-elle le secourir, au lieu de demeurer
cachée derrière la tapisserie, pour le tancer tout à l’heure s’il commettait
une sottise ! Elle avait ses raisons, sans doute.
    — Ce Tolomei est le seul homme
que je redoute en cette affaire, avait-elle dit à Bouville. Un nez de Lombard
vaut trente chiens de meute. S’il te voit seul, niais comme tu l’es, il se
défiera moins, et je pourrai mieux mener le jeu ensuite.
    « Niais comme tu l’es… Elle a
raison, je suis devenu niais, se disait Bouville. Pourtant, j’ai su parler à
des rois naguère, et traiter de leurs affaires. J’ai négocié le mariage de
Madame Clémence. J’ai dû m’occuper du conclave et ruser avec Duèze… » Ce
fut cette pensée qui le sauva.
    — Votre neveu, me disiez-vous,
est muni d’une lettre d’ordre du Saint-Père ? reprit-il. Eh bien !
voilà qui arrange tout. C’est à Guccio d’aller chercher sa femme, en montrant
cette lettre. Ainsi nous serons tous couverts et ne pourrons avoir ni reproches
ni procès. Le Saint-Père ! Que veut-on de plus… Dans deux ou trois jours,
n’est-ce pas ? Souhaitons donc que tout se passe au mieux. Et grand merci
de ce beau drap ; ma bonne épouse, je suis sûr, l’appréciera fort. À vous
revoir, messer, et toujours votre serviteur.
    Il se sentait plus épuisé que s’il
avait chargé en bataille.
    Tolomei, en quittant Vincennes,
pensait : « Ou bien il me ment pour quelque raison que j’ignore, ou
bien il retourne en âge d’enfance. Enfin, attendons Guccio. »
    Madame de Bouville, elle, n’attendit
pas. Elle fit atteler sa litière et courut au faubourg Saint-Marcel. Là elle
s’enferma avec Marie de Cressay. Après avoir causé la mort de son enfant, elle
venait à présent exiger de Marie qu’elle renonçât à son amour.
    — Vous avez juré le secret sur
les Évangiles, disait madame de Bouville. Mais serez-vous capable de le tenir
devant cet homme ? Aurez-vous le front de vivre avec votre époux…
    Maintenant elle consentait à parer
Guccio de cette qualité.
    — … en lui laissant croire
qu’il est le père d’un enfant qui ne lui appartient pas ? C’est péché que
de

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