La Loi des mâles
phrases
qu’elle n’aurait jamais cru pouvoir écrire. La lettre devait être portée chez
Tolomei, afin qu’il la remît à son neveu.
Marie déclarait éprouver grande
honte et horreur pour le péché qu’elle avait commis ; elle voulait se
consacrer à l’enfant qui en était le fruit, ne plus retomber dans les errements
de la chair, et mépriser celui qui l’y avait poussée. Elle faisait interdiction
à Guccio de jamais chercher à la revoir, où qu’elle se trouvât.
Elle voulut au moins mettre en
terminant : « Je vous jure de n’avoir jamais d’autre homme en ma vie
que vous, ni d’engager à quiconque ma foi. » Madame de Bouville refusa.
— Il ne doit point supposer que
vous l’aimez encore. Allons, signez, et donnez-moi cette lettre.
Marie ne vit même pas la petite
femme partir.
« Il me haïra, il me méprisera,
et il ne saura jamais que c’était pour le sauver ! » pensa-t-elle en
entendant battre la porte du couvent.
VIII
DÉPARTS
L’arrivée au manoir de Cressay, le
lendemain matin, d’un chevaucheur portant fleur de lis à la manche gauche et
les armes royales brodées au col produisit grand effet. On lui donna du
« Monseigneur » et les frères Cressay, sur la foi du bref billet qui
les mandait d’urgence à Vincennes, se crurent appelés à quelque commandement de
capitainerie ou déjà nommés sénéchaux.
— Cela n’est point étonnant,
dit dame Eliabel ; on se sera enfin souvenu de nos mérites et des services
que nous avons rendus au royaume depuis deux cents ans. Ce nouveau roi m’a
l’air de comprendre où il lui faut trouver des hommes valeureux ! Allez,
mes fils ; parez-vous de votre mieux et hâtez-vous de trotter. Il y a
décidément un peu de justice au Ciel, et cela nous consolera des hontes que
nous a faites votre sœur.
Elle était mal remise de sa maladie
de l’été. Elle s’alourdissait, avait perdu sa belle activité d’antan, et ne
montrait plus guère son autorité qu’en tracassant sa servante. Elle avait
abandonné à ses fils la direction du petit domaine, qui n’en allait guère
mieux.
Les deux frères se mirent donc en
route, la tête pleine d’espérances ambitieuses. Le cheval de Pierre cornait si
fort, en arrivant à Vincennes, qu’on pouvait bien penser que ce serait son
dernier voyage.
— J’ai à vous entretenir de
choses graves, mes jeunes sires, leur dit Bouville en les accueillant.
Et il leur offrit du vin aux épices
et des dragées.
Les deux garçons se tenaient sur le
bord de leur siège, comme des nigauds de campagne, et osaient à peine approcher
de leurs lèvres les hanaps d’argent.
— Ah ! Voici la reine qui
passe, dit Bouville. Elle profite de l’éclaircie pour prendre un peu l’air.
Les deux frères, le cœur battant,
tendirent le cou pour apercevoir, à travers les vitres verdâtres, une forme
blanche, en grand manteau, qui allait à pas lents, escortée de quelques
serviteurs. Puis ils se regardèrent en hochant la tête. Ils avaient vu la
reine !
— C’est de votre jeune sœur que
je veux vous parler, reprit Bouville. Seriez-vous disposés à la
reprendre ? Il vous faut d’abord savoir qu’elle a nourri l’enfant de la
reine.
Et il leur expliqua, dans le moins
de mots possible, ce qu’il était indispensable de leur apprendre.
— Ah ! J’ai une bonne
nouvelle aussi à vous faire connaître, continua-t-il… Cet Italien qui l’a mise
grosse… elle ne veut point le revoir, jamais. Elle a compris sa faute, et
qu’une fille de noble sang ne peut s’abaisser à être une femme d’un Lombard, si
bien tourné qu’il soit. Car il est plaisant damoiseau, il faut le reconnaître,
et vif d’esprit…
— Mais enfin ce n’est qu’un
Lombard, coupa madame de Bouville qui, cette fois, assistait à
l’entretien ; un homme sans aveu ni foi, il l’a bien montré.
Bouville baissa la tête.
« Et voilà ! Toi aussi il
me faut te trahir, mon ami Guccio, mon gentil compagnon de voyage ! Ne
dois-je donc finir mes jours qu’en reniant tous ceux qui m’ont marqué de
l’amitié ? » pensait-il. Il se tut, laissant à sa femme le soin de
conduire l’opération.
Les frères étaient un peu dépités,
l’aîné surtout. Ils s’étaient attendus à merveilles, et il ne s’agissait que de
leur sœur. Aucun événement dans leur vie n’arriverait donc jamais que par
elle ? Ils la jalousaient presque. Nourrice de roi ! Et de si hauts
personnages qu’un grand
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