La Louve de France
évêques, chevaliers, squires et représentants des bourgs choisis par
les shérifs ne sont, en droit, membres du Parlement que sur la désignation du
roi, et leur rôle, en principe, devrait n’être que consultatif. Mais voici que
le souverain est défaillant, incapable ; il est un fugitif rattrapé hors
de son royaume ; et ce n’est pas le roi qui a convoqué le Parlement, mais
le Parlement qui a voulu convoquer son roi, sans que ce dernier ait daigné
s’exécuter. Le suprême pouvoir se trouve donc réparti pour un moment, pour une
nuit, entre tous ces hommes de régions diverses, d’origines disparates, de
fortunes inégales.
« Qui voulez-vous pour
roi ? »
Tous réellement se posent la
question, et même ceux qui ont souhaité le plus haut la prompte fin
d’Édouard II, qui ont crié, à chaque scandale, à chaque impôt nouveau ou
chaque guerre perdue : « Qu’il crève, et que Dieu nous en
délivre ! »
Car Dieu n’a plus à
intervenir ; tout repose sur eux-mêmes, et ils prennent soudain conscience
de l’importance de leur volonté. Leurs souhaits et leurs malédictions se sont
accomplis, rien qu’en s’additionnant. La reine, même soutenue par ses
Hennuyers, aurait-elle pu se saisir de tout le royaume, comme elle l’a fait, si
les barons et les peuples avaient répondu à la levée ordonnée par
Édouard ?
Mais l’acte est gros qui consiste à
déposer un roi et à le dépouiller à jamais de son autorité nominale. Beaucoup
de membres du Parlement en sont effrayés, à cause du caractère divin qui
s’attache au sacre et à la majesté royale. Et puis le jeune prince qu’on
propose à leurs vœux est bien jeune ! Que sait-on de lui, sinon qu’il est
tout entier dans les mains de sa mère, laquelle est tout entière dans les mains
de Lord Mortimer ? Or si l’on respecte, si l’on admire le baron de
Wigmore, l’ancien Grand Juge d’Irlande, si son évasion, son exil, son retour,
ses amours mêmes, en ont fait un héros, s’il est pour beaucoup le libérateur,
on craint son caractère, sa dureté, son inclémence ; déjà on lui
reprocherait sa rigueur punitive, alors qu’en vérité toutes les exécutions de
ces dernières semaines étaient réclamées par les vœux populaires. Ceux qui le
connaissent bien redoutent surtout son ambition. Ne désire-t-il pas secrètement
devenir roi lui-même ? Amant de la reine, il est bien près du trône. On
hésite à lui remettre le grand pouvoir qu’il va détenir si Édouard II est
déposé ; et l’on en débat autour des lampes à huile et des chandelles,
parmi les pots d’étain qu’on emplit de bière ; et l’on ne va se coucher
qu’écrasé de fatigue, sans avoir rien résolu.
Le peuple anglais, cette nuit-là,
est souverain mais, un peu embarrassé de l’être, ne sait à qui remettre
l’exercice de cette souveraineté.
L’histoire a fait un pas soudain. On
dispute de questions dont la discussion même signifie que de nouveaux principes
sont admis. Un peuple n’oublie pas un tel précédent, ni une assemblée un tel
pouvoir qui lui est échu ; une nation n’oublie pas d’avoir été, en son
Parlement, maîtresse un jour de sa destinée.
Aussi le lendemain, quand
Monseigneur Orleton, prenant le jeune prince Édouard par la main, le présente
aux députés à nouveau assemblés dans Westminster, une immense ovation s’élève
et roule entre les murs, par-dessus les têtes.
— Nous le voulons, nous le
voulons !
Quatre évêques, dont ceux de Londres
et d’York, protestent et argumentent sur le caractère irrévocable du sacre et
des serments d’hommage. Mais l’archevêque de Canterbury, Reynolds, auquel
Édouard II avant de fuir, avait confié le gouvernement, et qui veut
prouver la sincérité de son tardif ralliement à l’insurrection, s’écrie :
— Vox populi, vox Dei !
Il prêche sur ce thème comme s’il
était en chaire, pendant un grand quart d’heure.
John de Stratford, évêque de Winchester,
rédige alors et lit devant l’assemblée les six articles qui consacrent la
déchéance d’Édouard II Plantagenet.
Primo, le roi est incapable de
gouverner ; pendant tout son règne, il a été mené par de détestables
conseillers.
Secundo, il a consacré son temps à
des occupations indignes de lui, et négligé les affaires du royaume.
Tertio, il a perdu l’Ecosse,
l’Irlande et la moitié de la Guyenne.
Quarto, il a fait tort à l’Église
dont il a emprisonné les
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