Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
Vom Netzwerk:
Boccace n’est point
encore parti, dis-lui qu’il veuille m’attendre.
    Le livre fut apporté, un gros
recueil à couverture de cuir noir patiné, et dont les feuilles de vélin
tenaient assemblées par des broches mobiles. On pouvait à volonté ajouter des
feuillets. Ce procédé permettait à messer Tolomei de réunir les comptes de ses
gros clients, dans l’ordre des lettres de l’alphabet, au lieu d’avoir à
rechercher des pièces éparpillées. Le banquier posa le recueil sur ses genoux,
l’ouvrit avec quelque cérémonie.
    — Vous allez vous trouver en
bonne compagnie, my Lord, dit-il. Voyez : à tout seigneur tout honneur…
Mon livre commence par le comte d’Artois… Vous avez beaucoup de feuillets,
Monseigneur, ajouta-t-il avec un petit rire adressé à Robert. Et puis voici le
comte de Bar, le comte de Boulogne, Monseigneur de Bourbon… Madame la reine
Clémence…
    Le banquier eut un hochement de tête
déférent.
    — Ah ! Elle nous a causé
bien du souci après la mort du roi Louis Dixième ; on eût dit que le deuil
lui avait donné une fringale de dépenses. Le Très Saint-Père lui-même lui a
écrit, pour l’exhorter à la modération, et elle a dû placer ses bijoux en gage,
chez moi, afin d’acquitter ses dettes. À présent, elle vit en l’hôtel du Temple
qui lui a été échangé contre le donjon de Vincennes ; elle touche son
douaire, et paraît avoir retrouvé la paix.
    Il continuait de tourner les pages
qui bruissaient sous sa main. Il avait une façon fort habile de laisser
apparaître les noms, tout en cachant les chiffres avec son bras. Il n’était
indiscret qu’à moitié.
    « C’est moi, maintenant, qui
joue le vantard, pensait-il. Mais il faut faire valoir un peu les services
qu’on rend, et montrer qu’on n’est pas ébloui par un nouvel emprunteur. »
    En vérité, sa vie entière se trouvait
contenue dans ce livre, et toute occasion lui était bonne de le feuilleter.
Chaque nom, chaque addition représentait tant de souvenirs, tant d’intrigues,
et de secrets confiés, tant de prières à lui adressées et où il avait pu
mesurer son pouvoir ! Chaque somme était le rappel précis d’une visite,
d’une lettre, d’un marché habile, d’un mouvement de sympathie, d’une dureté
pour un débiteur négligent… Il y avait près de cinquante ans que Spinello
Tolomei, ayant commencé, à son arrivée de Sienne, par faire les foires de
Champagne, était venu s’installer ici, rue des Lombards, pour y tenir banque [17] .
    Une page encore, et une autre, qui
s’accrocha dans ses ongles ébréchés. Un trait noir barrait le nom.
    — Tenez, voici messer Dante
Alighieri, le poète… pour une petite somme, quand il se rendit à Paris visiter
la reine Clémence, après le deuil de celle-ci. Il était grand ami du roi
Charles de Hongrie, le père de Madame Clémence. Je me souviens de messer Dante,
juste dans le fauteuil où vous êtes, my Lord. Un homme sans bonté. Il était
fils de changeur ; il m’a parlé toute une heure avec grand mépris du
métier de l’argent. Mais il pouvait bien être méchant et aller s’enivrer dans
de mauvais lieux avec les filles ; qu’importe ! Il a fait chanter
notre langue comme personne avant lui. Et de quelle façon il a dépeint les
Enfers ! On frémit de penser que c’est peut-être ainsi. Savez-vous qu’à
Ravenne, où messer Dante a vécu ses dernières années, les gens s’écartaient
peureusement de son chemin parce qu’ils pensaient qu’il était magicien, et
vraiment descendu dans les abîmes. Voilà deux ans qu’il est mort. Mais même à
présent, beaucoup ne veulent pas croire à son trépas et assurent qu’il
reviendra… Il n’aimait pas la banque, cela est sûr, ni non plus Monseigneur de
Valois qui l’avait exilé de Florence.
    Tolomei, tout le temps qu’il avait
parlé de Dante, avait de nouveau fait les cornes et pressé ses doigts contre le
bois du fauteuil.
    — Voilà, vous serez ici, my
Lord, reprit-il en mettant une marque dans le gros livre. Après Monseigneur de
Marigny ; pas le pendu, rassurez-vous, dont Monseigneur d’Artois parlait
tout à l’heure, non ! Mais son plus jeune frère, l’évêque de Beauvais…
Vous avez de ce jour un compte ouvert chez moi pour sept mille livres. Vous
pouvez y puiser à votre convenance, et regarder ma modeste maison comme la
vôtre. Étoffes, armes, bijoux, toutes fournitures qui vous seront nécessaires,
vous pourrez les trouver à mes

Weitere Kostenlose Bücher