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La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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comptoirs, et les faire porter sur ce crédit.
    Il accomplissait son métier par
habitude ; il prêtait aux gens de quoi acheter ce qu’il vendait.
    — Et votre procès contre votre
tante, Monseigneur ? Ne comptez-vous pas le reprendre, à présent que vous
êtes si puissant ? demanda-t-il à Robert d’Artois.
    — Cela se fera, cela se fera,
mais à son heure, répondit le géant en se levant. Rien ne presse, et je me suis
aperçu que trop de hâte était mauvaise. Je laisse ma chère tante
vieillir ; je la laisse s’user en petits procès contre ses vassaux,
s’inventer chaque jour de nouveaux ennemis par ses chicanes, et remettre en
ordre ses châteaux que j’ai un peu malmenés à la dernière visite que je fis en
ses terres, qui sont les miennes. Elle commence à savoir ce qu’il lui en coûte
de garder mon bien ! Elle a dû prêter à Monseigneur de Valois cinquante
mille livres qu’elle ne reverra jamais, car elles ont fait la dot de mon
épouse, sur quoi je vous ai payé. Vous voyez qu’elle n’est pas si nuisible
femme qu’on dit, la bonne gueuse. Je me garde seulement de trop la voir, car
elle m’aime tant qu’elle pourrait bien me gâter de quelque plat sucré dont on
est mort pas mal dans son entourage… Mais j’aurai mon comté, banquier, je
l’aurai, soyez-en sûr, et ce jour-là, je vous l’ai promis, vous serez mon
trésorier !
    Messer Tolomei, raccompagnant ses
visiteurs, descendit derrière eux l’escalier, d’une jambe prudente, et les
conduisit jusqu’à la porte, sur la rue des Lombards. Roger Mortimer lui ayant
demandé à quel intérêt l’argent lui était prêté, le banquier écarta cette
question d’un geste de la main.
    — Faites-moi seulement la grâce,
dit-il, quand vous aurez affaire à ma banque, de monter me voir. Vous aurez
sûrement à m’instruire de beaucoup de choses, my Lord.
    Un sourire accompagnait ces mots, et
la paupière gauche s’était un peu soulevée.
    L’air froid de novembre qui venait
de la rue fit frissonner le vieil homme. Aussitôt la porte refermée, Tolomei
passa derrière ses comptoirs et entra dans une petite pièce où se tenait le
signor Boccace, l’associé des Bardi.
    — Ami Boccacio, lui dit-il,
achète dès ce jour et demain toutes les monnaies d’Angleterre, de Hollande et
d’Espagne, florins d’Italie, doublons, ducats, en bref toutes monnaies de pays
étrangers ; offre un denier, et même deux deniers de plus la pièce. Dans
quelques jours, elles auront monté du quart. Tous les voyageurs devront s’en
fournir auprès de nous, puisque l’or de France n’aura plus liberté de sortir.
Je te fais ce marché de compte à demi [18] .
    Tolomei savait à peu près ce qu’on
pouvait rafler d’or étranger sur la place ; y ajoutant ce qu’il avait en
coffres, Tolomei avait déjà calculé que l’opération lui laisserait un bénéfice
de quinze à vingt mille livres. Il venait d’en prêter sept mille ; il
était sûr de gagner au moins le double et, avec ce gain, il consentirait
d’autres prêts. Une routine !
    Comme Boccace le félicitait de son
habileté, et, tournant le compliment entre ses lèvres minces, disait que ce
n’était pas en vain que les compagnies lombardes de Paris avaient choisi messer
Spinello Tolomei pour leur capitaine général, celui-ci répondit :
    — Oh ! après cinquante et
des années de métier, je n’y ai plus de mérite ; cela vient de soi-même.
Et si vraiment j’étais habile, qu’aurais-je fait ? Je t’aurais acheté tes
réserves de florins et j’aurais gardé tout le profit pour moi. Mais à quoi cela
me servirait-il en vérité ? Tu verras, Boccacio, tu es encore très jeune…
    L’autre avait pourtant des fils
blancs aux tempes.
    — … il arrive un âge où,
quand on ne travaille plus que pour soi, on a le sentiment de travailler pour
rien. Mon neveu me manque. Pourtant, ses affaires maintenant sont
apaisées ; je suis certain qu’il ne risque rien à revenir. Mais il refuse,
ce diable de Guccio ; il s’entête, par orgueil je crois. Alors cette
grande maison, le soir, quand les commis sont partis et les valets couchés, me
paraît bien vide. Et voilà que certains jours je me prends à regretter Sienne.
    — Ton neveu aurait bien dû, dit
Boccace, faire ce que j’ai fait moi-même qui me suis trouvé dans une semblable
situation avec une dame de Paris. J’ai enlevé mon fils et l’ai emmené en
Italie.
    Messer Tolomei hochait la tête

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