La Louve de France
qu’ils font en joute, dit Philippe de Valois qui
n’avait pas parlé jusque-là et dont le visage se colora un peu.
Le fils aîné de Charles de Valois
imaginait déjà les voiles gonflées des galères, les débarquements sur les côtes
lointaines, les bannières, les cuirasses, le choc des lourds chevaux de France
chargeant les Infidèles, le Croissant piétiné sous le fer des montures, les
filles mauresques capturées dans le fond des palais, les belles esclaves nues
arrivant enchaînées… Et sur ces grasses gaupes, rien n’empêcherait Philippe de
Valois d’assouvir ses désirs. Ses grandes narines déjà s’élargissaient. Car
Jeanne la Boiteuse, son épouse, dont la jalousie éclatait en scènes furieuses
dès qu’il regardait la poitrine d’une autre femme, resterait en France.
Ah ! elle n’était pas de caractère aisé, la sœur de Marguerite de
Bourgogne ! Or il se peut qu’on aime sa femme et qu’en même temps une
force de nature vous pousse à en désirer d’autres. Il faudrait au moins une
croisade pour que le grand Philippe osât tromper la Boiteuse.
Mortimer se redressa un peu et tira
sur sa cotte noire. Il voulait revenir au sujet qui lui importait, et qui
n’était pas la croisade.
— Monseigneur, dit-il à Charles
de Valois, vous pouvez me tenir comme marchant dans vos rangs. Mais je venais
aussi quêter de vous…
Le mot était dit. L’ancien Grand
Juge d’Irlande l’avait prononcée cette parole sans laquelle aucun solliciteur
ne récolte rien, sans laquelle aucun homme puissant n’accorde son appui.
Quêter, demander, prier… Il n’était point besoin d’ailleurs qu’il en prononçât
davantage.
— Je sais, je sais, répondit
Charles de Valois ; mon gendre Robert m’a mis au fait. Vous souhaitez que
j’intrigue pour votre cause auprès du roi Édouard. Or donc, mon très loyal ami…
D’un seul coup, parce qu’il avait
« quêté », il était devenu un ami.
— … or donc, je ne le
ferai pas, parce que cela ne servirait de rien… sinon à m’attirer quelque
nouvel outrage ! Savez-vous la réponse que votre roi Édouard m’a fait
tenir par le comte de Bouville ? Oui, vous la savez, bien sûr… alors que
la dispense pour le mariage était déjà demandée au Saint-Père ! Quelle
figure me donne-t-il ? Vais-je aller maintenant lui demander qu’il vous
restitue vos terres, vous rétablisse dans vos titres, et qu’il chasse ses
honteux Despensers ?
— Et que par là même, il rende
à la reine Isabelle…
— Ma pauvre nièce !
s’écria Valois. Je sais, loyal ami, je sais tout ! Croyez-vous que je
puisse, ou que le roi de France puisse, faire changer le roi Édouard à la fois
de mœurs et de ministres ? Vous ne devez pas ignorer toutefois que lorsqu’il
a envoyé l’évêque de Rochester pour réclamer votre livraison nous avons
refusé ; nous avons refusé de seulement recevoir l’évêque ! Premier
affront que je rends à Édouard en échange du sien. Nous sommes liés, vous et
moi, Monseigneur de Mortimer, par les outrages qui nous ont été infligés. Et si
l’occasion nous vient, à l’un ou à l’autre, de nous venger, je vous fais foi,
cher sire, que nous nous vengerons ensemble.
Mortimer, sans en rien montrer,
sentit le désespoir l’envahir. L’entretien, dont Robert d’Artois lui avait
promis miracle… « Mon beau-père Charles peut tout ; s’il vous prend
en amitié, et il ne manquera pas de le faire, vous êtes sûr de triompher… »
L’entretien semblait achevé. Et qu’en résultait-il ? Du vent. La promesse
d’un vague commandement dans dix-huit mois, au pays des Turcs. Roger Mortimer
songeait déjà à quitter Paris, à se rendre auprès du pape ; et si de ce
côté-là il n’obtenait rien, alors, il irait trouver l’empereur d’Allemagne…
Ah ! elles étaient amères les déceptions de l’exil. Son oncle de Chirk les
lui avait prédites…
Ce fut alors que Robert d’Artois,
dans le silence gêné qui s’était fait, dit :
— Cette occasion de la
vengeance dont vous parlez, Charles, pourquoi ne la ferions-nous pas
naître ?
Il était le seul, à la cour, qui
appelait le comte de Valois par son prénom, n’ayant pas changé d’habitude
depuis le temps où ils n’étaient que cousins ; et puis sa taille, sa
force, sa truculence, lui donnaient des droits qui n’étaient qu’à lui.
— Robert a raison, dit Philippe
de Valois. On pourrait, par exemple, inviter le roi
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