La Louve de France
relevaient directement du roi de France, ou bien du duc
d’Aquitaine. Vous voyez ?
— Je vois, dit Monseigneur de
Valois.
Son fils Philippe ne voyait pas. Il
ouvrait de grands yeux bleus, et son incompréhension était si visible que son
père lui expliqua :
— Mais si, mon fils. Imagine
que je t’accorde, comme si c’était fief, tout cet hôtel. Mais je m’y réserve
franc usage et disposition de cette salle où nous sommes. Or, de cette salle
dépend le cabinet de passage que commande cette porte. Qui de nous a
juridiction sur le cabinet de passage et doit pourvoir au mobilier et au
nettoyage ? Le tout, ajouta Valois en revenant à Robert, est de trouver
une dépendance assez importante pour que l’action qu’on y engagera oblige
Édouard à soutenir l’épreuve.
— Vous avez, répondit le géant,
une dépendance bien désignée qui est la terre de Saint-Sardos, laquelle est
afférente au prieuré de Sarlat dans le diocèse de Périgueux. La situation en
fut déjà débattue lorsque Philippe le Bel conclut avec le prieur de Sarlat un
traité de pariage qui faisait le roi de France coseigneur de cette seigneurie.
Édouard le Premier en avait appelé alors au Parlement de Paris, mais rien ne
fut tranché [22] .
Que sur la dépendance de Saint-Sardos, le roi de France, coseigneur de Sarlat,
place une garnison et entreprenne la construction d’une forteresse un peu
menaçante, que va faire alors le roi d’Angleterre, duc d’Aquitaine ? Il va
donner ordre à son sénéchal de s’y opposer, et d’y envoyer garnison. À la
première rencontre entre deux soldats, au premier officier du roi qu’on
maltraite ou seulement qu’on insulte…
Robert ouvrit les mains, comme si la
conclusion s’offrait d’elle-même. Et Monseigneur de Valois, dans ses velours
bleus brodés d’or, se leva de son trône. Il se voyait déjà en selle, à la tête
des bannières ; il repartait pour cette Guyenne où déjà, trente ans plus
tôt, il avait fait triompher les armes du roi de France !
— J’admire en vérité, mon
frère, s’écria Philippe de Valois, qu’un si bon chevalier comme vous l’êtes,
soit instruit des procédures autant qu’un clerc.
— Bah ! mon frère, je n’y
ai pas grand mérite. Ce n’est pas par goût que j’ai été amené à m’enquérir de
toutes les coutumes de France et arrêts de parlements ; c’est pour mon
procès d’Artois. Et puisque, jusqu’à ce jour, cela ne m’a point servi, qu’au
moins cela serve à mes amis ! acheva Robert d’Artois en s’inclinant devant
Roger Mortimer, comme si la vaste machination projetée n’avait d’autre motif ni
d’autre but que de complaire au réfugié.
— Votre venue nous est d’une
grande aide, sire baron, renchérit Charles de Valois, car nos causes sont liées
et nous ne manquerons pas de vous demander vos conseils, très étroitement, en
toute cette entreprise… que Dieu veuille protéger ! Il se peut qu’avant
longtemps nous marchions ensemble vers l’Aquitaine.
Mortimer se sentait dérouté,
dépassé. Il n’avait rien fait, rien dit, rien suggéré ; sa seule présence
avait été l’occasion pour les autres de concrétiser leurs aspirations secrètes.
Et maintenant on le requérait pour une guerre contre son propre pays, sans
qu’aucun choix lui fût laissé.
Ainsi, et si Dieu le voulait, les
Français allaient faire la guerre, en France, aux sujets français du roi
d’Angleterre, avec la participation d’un grand seigneur anglais, et en usant
des subsides consentis par le pape pour délivrer l’Arménie des Turcs.
V
ATTENTE
La fin de l’automne s’écoula, et tout
l’hiver, et le printemps encore et le début de l’été. Lord Mortimer vit les
quatre saisons passer sur Paris, la boue s’amasser dans les rues étroites, puis
la neige blanchir les prés de Saint-Germain, puis les bourgeons s’ouvrir aux
arbres des berges de Seine, et le soleil briller sur la tour carrée du Louvre,
sur la ronde tour de Nesle, sur la flèche aiguë de la Sainte-Chapelle.
Un émigré attend. C’est son rôle, et
presque, croirait-on, sa fonction. Il attend que le mauvais sort passe ;
il attend que les gens, dans le pays où il a pris refuge, aient fini de régler
leurs propres affaires. Passés les moments de l’arrivée, où ses revers
suscitent la curiosité, où chacun veut s’emparer de lui comme d’un animal de
montre, sa présence bientôt devient lassante. Il semble toujours porteur
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