La Louve de France
Édouard à la croisade, et
là…
Un geste imprécis acheva sa pensée.
Il était imaginatif, décidément, le grand Philippe ! Il voyait le passage
d’un gué, ou mieux encore une rencontre en plein désert avec un parti d’Infidèles.
On laissait Édouard s’engager à la charge, puis on l’abandonnait froidement aux
mains des Turcs… voilà une belle vengeance !
— Jamais, s’écria Charles de
Valois, jamais Édouard ne joindra ses bannières aux miennes. D’abord peut-on
même parler de lui comme d’un roi chrétien ? Ce sont les Maures qui ont de
pareilles mœurs !
En dépit de cette indignation,
Mortimer fut saisi d’inquiétude. Il savait trop ce que valent les paroles des
princes, et comment les ennemis de la veille peuvent se réconcilier le
lendemain, même faussement, quand ils y ont intérêt. S’il prenait envie à
Monseigneur de Valois, pour grossir sa croisade, d’y convier Édouard, et si
Édouard feignait d’accepter…
— Quand bien même le
feriez-vous, Monseigneur, dit Mortimer, il y a peu de chances que le roi
Édouard réponde à votre invite ; il aime les jeux du corps mais déteste
les armes, et ce n’est point lui, je vous l’assure, qui m’a vaincu à
Shrewsbury. Édouard prétextera, et avec juste raison, les dangers que lui font
courir les Écossais…
— Mais j’en veux bien, moi, des
Écossais, dans ma croisade ! dit Valois.
Robert d’Artois frappa ses énormes
poings l’un contre l’autre à petits coups. La croisade lui était totalement
indifférente, et même, à vrai dire, il n’en avait aucune envie. D’abord il
vomissait en mer. Sur terre, tout ce qu’on voulait, mais rien sur l’eau ;
un nourrisson y était plus fort que lui ! Et puis il songeait avant tout à
la reprise de son comté d’Artois, et une course de cinq ans au bout du monde ne
ferait guère progresser ses affaires. Le trône de Constantinople n’était pas
dans son héritage, et il ne lui plaisait en rien de se retrouver un jour
commandant quelque île pelée dans des eaux perdues. Il n’avait pas d’intérêt
non plus au commerce des épices, ni le besoin d’aller enlever des femmes aux
Turcs ; Paris regorgeait de houris à cinquante sols et de bourgeoises qui
coûtaient encore moins ; et Madame de Beaumont, sa compagne, fille de
Monseigneur de Valois ici présent, fermait les yeux sur toutes ses incartades.
Donc, cette croisade, il importait surtout à Robert d’en reculer le plus
possible l’échéance ; tout en feignant de l’encourager, il ne travaillait
qu’à la retarder. Il avait son idée en tête et ce n’était pas pour rien qu’il
avait conduit Roger Mortimer à son beau-père.
— Je me demande, Charles,
dit-il, s’il serait bien sage de laisser longtemps le royaume de France
dépourvu d’hommes, privé de sa noblesse et de votre commandement, à la merci du
roi d’Angleterre qui montre assez qu’il ne nous veut pas de bien.
— Les châteaux seront pourvus,
Robert ; et nous y laisserons des garnisons à suffisance, répondit Valois.
— Mais sans noblesse, sans la
plupart des chevaliers, et sans vous, je le répète, qui êtes notre grand homme
de guerre. Qui défendra le royaume en notre absence ? Le connétable,
bientôt sur ses septante-cinq ans, et dont c’est miracle qu’il se soutienne
encore en selle ? Notre roi Charles ? Si Édouard, comme nous le dit
Lord Mortimer, se plaît peu aux batailles, notre gentil cousin s’y entend
encore moins. Au reste, à quoi s’entend-il, sinon à paraître, frais et
souriant, devant son peuple ? Ce serait folie d’offrir le champ aux
mauvaisetés d’Édouard sans l’avoir auparavant affaibli d’une défaite.
— Alors aidons les Écossais,
proposa Philippe de Valois. Débarquons sur leurs côtes et soutenons leur lutte.
Pour ma part, j’y suis prêt.
Robert d’Artois baissa le nez pour
ne point montrer ce qu’il pensait. On en verrait de belles, si Philippe prenait
le commandement d’une équipée en Ecosse ! L’héritier des Valois avait fait
la preuve de ses aptitudes, en Italie, où on l’avait envoyé soutenir le légat
du pape contre les Visconti de Milan. Arrivé fièrement avec ses bannières,
Philippe s’était si bien laissé manœuvrer et rouler en farine par Galeazzo
Visconti qu’il avait tout cédé en croyant tout gagner, et s’en était retourné
sans même avoir livré la plus petite bataille.
Roger Mortimer, pour sa part, parut
quelque peu blessé par
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