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La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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Alspaye, qui le suivait depuis son évasion de la
Tour, commandait sa maison où le barbier Ogle tenait office de valet de
chambre, et qui se grossissait petit à petit de réfugiés obligés à l’exil, eux
aussi, par la haine des Despensers. En particulier était arrivé John Maltravers,
seigneur anglais du parti de Mortimer, et descendant comme lui d’un compagnon
du Conquérant. Ce Maltravers avait la face longue et sombre, les cheveux
pendants, les dents immenses ; il ressemblait à son cheval. Il n’était pas
très agréable compagnon et faisait sursauter les gens par des rires saccadés,
hennissants, dont on cherchait en vain les motifs. Mais dans l’exil, on ne
choisit pas ses amis ; l’infortune commune vous les impose. Par
Maltravers, Mortimer apprit que sa femme avait été transférée au château de
Skipton, dans le comté d’York, avec pour toute suite une dame, un écuyer, une
blanchisseuse, un valet et un page, et qu’elle recevait treize shillings et
quatre deniers par semaine pour son entretien et celui de ses gens ;
presque la prison…
    Quant à la reine Isabelle, son sort
devenait de jour en jour plus pénible. Les Despensers la pillaient, la
dépouillaient, l’humiliaient avec une patiente perfection dans la cruauté.
« Il ne me reste plus en propre que la vie, faisait-elle dire à Mortimer,
et je crains fort qu’on ne s’apprête à me l’ôter. Hâtez mon frère à ma
défense. »
    Mais le roi de France… « Votre
épouse est-elle auprès de vous ? Avez-vous des fils ? »… s’en
remettait aux avis de Monseigneur de Valois qui lui-même remettait tout au
résultat de ses actions d’Aquitaine. Et si d’ici-là les Despensers
assassinaient la reine ?
    — Ils n’oseront pas, répondait
Valois.
    Mortimer allait glaner d’autres
nouvelles chez le banquier Tolomei qui lui faisait passer son courrier
outre-manche. Les Lombards avaient un meilleur réseau de poste que la cour, et
leurs voyageurs étaient plus habiles à dissimuler les messages. Ainsi la
correspondance entre Mortimer et l’évêque d’Orleton était à peu près régulière.
    L’évêque avait payé cher d’avoir
monté l’évasion de Mortimer ; mais il était courageux et tenait tête au
roi. Premier prélat d’Angleterre jamais traduit devant une juridiction laïque,
il avait refusé de répondre à ses accusateurs, appuyé d’ailleurs par tous les
archevêques du royaume qui voyaient leurs privilèges menacés. Édouard avait
poursuivi le procès, fait condamner Orleton, et ordonné la confiscation de ses
biens. Édouard venait également d’écrire au pape pour demander la déposition de
l’évêque, comme rebelle ; il était important que Monseigneur de Valois
agît auprès de Jean XXII pour empêcher une telle mesure dont le résultat
eût été de porter la tête d’Orleton sur le billot.
    Pour Henry Tors-Col, la situation
était confuse. Édouard l’avait fait en mars comte de Lancastre, lui rendant les
titres et les biens de son frère décapité, dont le grand château de Kenilworth.
Puis, tout aussitôt, pour avoir eu connaissance d’une lettre d’encouragement et
d’amitié adressée à Orleton, Édouard avait accusé Tors-Col de haute trahison.
    Tolomei, à chaque visite que Mortimer
lui rendait, ne manquait pas de dire à l’exilé :
    — Puisque vous voyez souvent
Messeigneurs de Valois et d’Artois, et que vous êtes bien leur ami,
rappelez-leur, je vous en prie, ces bouches à poudre qu’on a expérimentées en
Italie et qui serviront beaucoup aux sièges des villes. Mon neveu à Sienne, et
les Bardi à Florence, peuvent s’occuper de les fournir ; ce sont pièces
d’artillerie plus faciles à mettre en place que les grosses catapultes à
balancier, et qui font plus de dégâts. Monseigneur de Valois devrait bien en
équiper sa croisade…
    Les femmes, dans le début, s’étaient
assez intéressées à Mortimer, à cet étranger au beau torse, tout vêtu de noir,
austère, et qui mordillait la cicatrice blanche qu’il avait à la lèvre. Elles
lui avaient fait raconter vingt fois son évasion ; tandis qu’il parlait,
de belles poitrines se soulevaient sous les transparentes gorgières de lin. Sa
voix, qui était grave, presque rauque, avec un accent inattendu sur certains
mots, touchait les cœurs oisifs. Robert d’Artois, à bien des reprises, avait
voulu pousser le baron anglais dans ces bras qui ne demandaient qu’à s’ouvrir,
comme il s’était

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