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La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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cotte d’armes de velours
noir, en signe de deuil. La date de ce départ, il ne l’oublierait pas : on
était le 1 er août 1324, fête de Saint-Pierre-ès-Liens, et il y avait
un an, jour pour jour, qu’il s’était évadé de la tour de Londres.
     

VI

LES BOUCHES À FEU
    L’alarme surprit le jeune comte
Edmond de Kent allongé sur le dallage d’une chambre du château où il cherchait
en vain quelque fraîcheur. Il s’était à demi dévêtu et gisait là, en chausses
de toile et torse nu, bras écartés, immobile, terrassé par l’été du Bordelais.
Son lévrier favori haletait à côté de lui.
    Le chien fut le premier à entendre
le tocsin. Il se dressa sur les pattes de devant, nez pointé, oreilles couchées
et frémissantes. Le jeune comte de Kent sorti de sa somnolence, s’étira et
comprit soudain que ce grand vacarme provenait de toutes les cloches de La
Réole sonnées à la volée. En un instant, il fut debout, saisit sa chemise de
légère batiste qu’il avait jetée sur un siège, l’enfila en hâte.
    Déjà des pas se pressaient vers la
porte. Messire Ralph Basset, le sénéchal, entra, suivi de quelques seigneurs
locaux, le sire de Bergerac, les barons de Budos et de Mauvezin, et le sire de
Montpezat à propos de qui – du moins le croyait-il, et pour s’en faire
gloire – cette guerre était née.
    Le sénéchal Basset était vraiment
très petit ; le jeune comte de Kent s’en trouvait surpris chaque fois qu’il
le voyait apparaître. Avec cela rond comme une futaille, et toujours au bord
d’une colère qui lui faisait enfler le cou et saillir les yeux.
    Le lévrier n’aimait pas le sénéchal
et grondait dès qu’il le voyait.
    — Est-ce l’incendie ou bien les
Français, messire sénéchal ? demanda le comte de Kent.
    — Les Français, les Français,
Monseigneur ! s’écria le sénéchal presque choqué de la question. Venez
donc ; on les aperçoit déjà.
    Le comte de Kent se pencha vers un
miroir d’étain pour remettre en ordre ses rouleaux blonds sur les oreilles, et
suivit le sénéchal. En chemise blanche, ouverte sur la poitrine et qui blousait
autour de la ceinture, sans éperons à ses bottes, tête nue, parmi les barons
vêtus de mailles de fer, il donnait une étrange impression d’intrépidité et de
grâce, de manque de sérieux aussi.
    L’intense vacarme des cloches le
surprit à la sortie du donjon et le grand soleil d’août l’éblouit. Le lévrier
se mit à hurler.
    On monta jusqu’au sommet de la
Thomasse, la grosse tour ronde construite par Richard Cœur de Lion. Que
n’avait-il pas bâti, cet ancêtre ? L’enceinte de la tour de Londres,
Château-Gaillard en Normandie, la forteresse de La Réole…
    La Garonne, large et miroitante,
coulait au pied du coteau presque à pic, et son cours dessinait des méandres à
travers la grande plaine fertile où le regard se perdait jusqu’à la lointaine
ligne bleue des monts de l’Agenais.
    — Je ne distingue rien, dit le
comte de Kent qui s’attendait à voir les avant-gardes françaises aux abords de
la ville.
    — Mais si, Monseigneur, lui
répondit-on en criant pour dominer le bruit du tocsin. Le long de la rivière,
en amont, vers Sainte-Bazeille !
    En plissant les yeux et en mettant
la main en visière, le comte de Kent finit par apercevoir un ruban scintillant
qui doublait celui du fleuve. On lui dit que c’était le reflet du soleil sur
les cuirasses et les caparaçons des chevaux.
    Et toujours ce fracas de cloches qui
brisait l’air ! Les sonneurs devaient avoir les bras rompus. Dans les rues
de la ville, autour de l’hôtel communal surtout, la population s’agitait,
fourmillante. Comme les hommes semblaient petits, observés depuis les créneaux
d’une citadelle ! Des insectes. Sur tous les chemins qui aboutissaient à
la ville, se pressaient des paysans apeurés, qui tirant sa vache, qui poussant
ses chèvres, qui aiguillonnant les bœufs de son attelage. On abandonnait les
champs en courant ; arriveraient bientôt les gens des bourgs environnants,
leurs hardes sur le dos ou entassées dans les chariots. Tout le monde se
logerait comme il pourrait, dans une ville déjà surpeuplée par la troupe et les
chevaliers de Guyenne.
    — Nous ne commencerons vraiment
à pouvoir compter les Français que dans deux heures, et ils ne seront pas sous
les murs avant la nuit, dit le sénéchal.
    — Ah ! c’est piètre saison
pour faire la guerre, dit avec humeur le sire de

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