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La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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c’est vraiment un péché, ni
quel nom de péché lui donner. Je n’ai pas commis l’homicide moi-même, je vous
en assure, mais une fois je n’ai pas su l’empêcher. Et ensuite, j’ai dû porter
faux témoignage ; mais je ne pouvais agir autrement.
    — Contez-moi donc cela, messire
comte, dit le pape.
    Ce fut son tour de se
reprendre :
    — Confessez-moi ce secret qui
tant vous pèse, mon cher fils !
    — Certes, il me pèse, dit
Bouville, et plus encore depuis la mort de ma bonne épouse Marguerite, avec qui
je le partageais. Et souvent je me répète que si je viens à mourir sans en
avoir fait personne dépositaire…
    Des larmes brusquement lui étaient
venues.
    — Comment n’ai-je pas songé
plus tôt, Très Saint-Père, à vous le confier ?… Je vous le disais :
j’ai la cervelle souvent lente… Ce fut après la mort du roi Louis Dixième,
l’aîné fils de mon maître Philippe le Bel…
    Bouville regarda le pape et se
sentit comme déjà soulagé. Enfin il allait pouvoir se décharger l’âme de ce
fardeau qu’il portait depuis huit années. Le pire moment de sa vie, à coup sûr,
et dont le remords le poignait sans trêve. Que n’était-il pas venu plus tôt
avouer tout cela au pape !
    À présent Bouville parlait aisément.
Il racontait comment, ayant été nommé curateur au ventre de la reine Clémence,
après le trépas de Louis Hutin, il avait, lui Bouville, craint que la comtesse
Mahaut d’Artois ne fit une criminelle entreprise et contre la reine et contre
l’enfant qu’elle portait alors. En ce temps-là, Monseigneur Philippe de
Poitiers, frère du roi décédé, réclamait la régence contre le comte de Valois
et contre le duc de Bourgogne…
    À ce souvenir, Jean XXII leva
un instant les yeux vers les poutres peintes du plafond, et une expression
songeuse passa sur son étroit visage. Il revit le matin de 1316, où lui-même, à
Lyon, était venu annoncer à Philippe de Poitiers la mort de son frère
Louis X, ayant appris la nouvelle justement de ce petit Lombard Baglioni…
    Donc Bouville craignait un crime de
la part de la comtesse d’Artois, un nouveau crime car on disait beaucoup
qu’elle était l’auteur du trépas de Louis Hutin, par enherbement. Elle avait
les meilleures raisons de le haïr, car il venait de lui confisquer son comté.
Mais elle avait toutes bonnes raisons aussi, Louis disparu, de souhaiter que le
comte de Poitiers, son gendre, accédât au trône. Le seul obstacle à cela était
l’enfant que portait la reine, qui naquit et qui fut un mâle.
    — Infortunée reine Clémence…
dit le pape.
    Mahaut d’Artois, choisie comme
marraine, devait à ce titre amener le nouveau petit roi aux barons, lors de la
cérémonie de présentation. Bouville était sûr, et madame de Bouville autant que
lui, que si la terrible Mahaut voulait perpétrer un forfait, elle n’hésiterait
pas à le faire pendant la présentation, seule occasion pour elle de tenir
l’enfant. Bouville et sa femme avaient donc décidé de cacher l’enfant royal
pendant ces heures-là, et de remettre à sa place dans les bras de Mahaut le
fils d’une nourrice qui n’avait que quelques jours de plus. Sous les langes
d’apparat, personne ne pourrait s’apercevoir de la substitution, puisque nul
n’avait encore vu l’enfant de la reine Clémence et pas même celle-ci, atteinte
de grande fièvre et presque mourante.
    — Et puis en effet, Très
Saint-Père, dit Bouville, l’enfant que j’avais remis à la comtesse Mahaut et
qui se portait à merveille l’heure d’avant, mourut en quelques instants devant
tous les barons. C’est cette petite créature innocente que j’ai livrée au
trépas. Et le crime s’accomplit si vite, et j’étais si troublé, que je n’ai pas
songé à crier aussitôt : « Cet enfant n’est pas le roi ! »
Et après, ce fut trop tard. Comment expliquer…
    Le pape, un peu penché en avant et
les mains jointes sur sa robe, ne perdait pas un mot du récit.
    — Alors l’autre enfant, le
petit roi, qu’est-il devenu, Bouville ? Qu’en avez-vous fait ?
    — Il existe, Très Saint-Père,
il vit. Nous l’avons, ma défunte femme et moi, confié à la nourrice. Oh !
avec bien de la peine. Car la malheureuse nous haïssait, vous le pensez bien,
et gémissait de douleur. À force de supplications, de menaces aussi, nous lui
avons fait jurer sur les Évangiles de garder le petit roi comme s’il était son
enfant, et de ne jamais rien

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