La Louve de France
l’indignité de ses accusateurs, elle représenta que son rang de pair
de France ne la rendait justiciable que de la Chambre des Barons. Toutefois,
afin, disait-elle, de faire triompher son innocence, elle supplia son gendre…
ce fut une belle scène de fausseté publique !… de poursuivre l’enquête et
de lui donner moyen de confondre ses ennemis. La nécromancienne de Fériennes et
son fils furent entendus à nouveau, mais après avoir subi la question. Leur
état n’était pas beau, et le sang leur collait sur tout le corps. Ils se
rétractèrent complètement, déclarèrent mensonges leurs aveux premiers et
prétendirent qu’ils y avaient été conduits par caresses, prières, promesses et
aussi violences de personnes dont, selon l’acte des greffiers, il convenait de
taire le nom pour le moment. Puis le roi Philippe le Long tint lui-même lit de
justice et fit comparaître tous ses proches et parents, et tous les familiers
de feu son frère, le comte de Valois, le comte d’Évreux, Monseigneur de Bourbon,
Monseigneur Gaucher le connétable, messire de Beaumont, le maître de l’hôtel,
et la reine Clémence, elle-même, leur demandant, sous la foi du serment, s’ils
savaient ou croyaient que le roi Louis et son fils Jean fussent morts autrement
que de mort naturelle. Comme aucune preuve ne pouvait être produite, comme la
séance avait lieu devant tous, et que la comtesse Mahaut se tenait assise à
côté du roi, chacun déclara, bien que pour beaucoup ce fût à contre-conviction,
que ces trépas étaient dus à l’œuvre de nature.
— Mais vous-même, vous avez eu
à comparaître ?
Le gros Bouville baissa le front.
— J’ai porté faux témoignage,
Très Saint-Père, dit-il. Mais que pouvais-je quand toute la cour, les pairs,
les oncles du roi, les plus proches serviteurs, la reine veuve elle-même,
certifiaient sous serment l’innocence de Madame Mahaut ? C’est moi qu’on
eût alors accusé de mensonge et de fable ; et l’on m’eût envoyé me
balancer à Montfaucon.
Il semblait si malheureux, si
abattu, si triste, que l’on imaginait soudain, sur son gros visage charnu, les
traits du petit garçon qu’il avait été un demi-siècle plus tôt. Le pape eut un
mouvement de pitié.
— Apaisez-vous, Bouville,
dit-il en se penchant et en lui mettant la main sur l’épaule. Et ne vous
reprochez pas d’avoir mal agi. Dieu vous avait posé un problème un peu lourd
pour vous. Votre secret, je le prends à mon compte. L’avenir dira si vous avez
bien fait ! Vous avez voulu sauver une vie qui vous avait été confiée par
le devoir de votre état, et vous l’avez sauvée. Combien en auriez-vous exposé
d’autres, si vous aviez parlé !
— Ah ! Très Saint-Père,
oui, je suis apaisé ! dit l’ancien chambellan. Mais le petit roi caché,
que va-t-il devenir ? Que faut-il en faire ?
— Attendez sans rien changer.
J’y penserai et vous le ferai savoir. Allez en paix, Bouville… Quant à
Monseigneur de Valois, cent mille livres sont à lui mais pas un florin de plus.
Qu’il me laisse en repos avec sa croisade, et qu’il s’accorde avec
l’Angleterre.
Bouville mit genou en terre, porta
la main du Saint-Père à ses lèvres, avec effusion, se releva et gagna la porte
à reculons puisque l’audience semblait terminée.
Le pape le rappela du geste.
— Mon fils, et votre
absolution ? Vous ne la voulez donc point ?
Un moment plus tard le pape Jean,
demeuré seul, parcourait à petits pas glissants son cabinet de travail. Le vent
du Rhône passait sous les portes et gémissait à travers le beau palais neuf.
Les perruches pépiaient dans leur cage. Les tisons du brasero
s’assombrissaient.
Jean XXII réfléchissait au difficile
problème, à la fois de conscience et d’État, qui se posait à lui. L’héritier
véritable de la couronne de France était un enfant ignoré, caché dans une cour
de ferme. Deux personnes seulement au monde, ou plutôt trois personnes à
présent, le savaient. La peur retenait les deux premières de parler. Que
convenait-il de faire, quel parti prendre, quand deux rois déjà, depuis la
naissance de cet enfant, s’étaient succédé au trône, deux rois dûment sacrés,
oints du saint chrême ? Révéler l’affaire et jeter la France dans le plus
terrible désordre dynastique ? De la semence de guerre, encore !
Un autre sentiment également
incitait le pape à garder le silence, et ce sentiment concernait la mémoire du
roi
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