La Louve de France
Philippe le Long. Oui, Jean XXII l’avait bien aimé, ce jeune homme, et
l’avait aidé de toutes les façons possibles. C’était même le seul souverain
qu’il eût jamais admiré et auquel il gardât reconnaissance. Ternir son souvenir
revenait pour Jean XXII à se ternir lui-même ; car, sans Philippe le
Long, fût-il jamais devenu pape ? Et voilà que Philippe se révélait avoir
été un criminel, le complice d’une criminelle tout au moins… Mais était-ce au
pape Jean, était-ce à Jacques Duèze, de jeter la première pierre, lui qui
devait à de si grosses fourberies et sa pourpre et sa tiare ? Et s’il lui
avait été absolument nécessaire, pour assurer son élection, de laisser
commettre un meurtre…
« Seigneur, Seigneur, merci de
m’avoir épargné pareille tentation… Mais était-ce bien moi qui devais être
chargé du soin de vos créatures ?… Et si la nourrice parle un jour,
qu’arrivera-t-il ? Peut-on se fier à langue de femme ? Il serait bon,
Seigneur, que vous m’éclairiez quelquefois ! J’ai absous Bouville, mais la
pénitence est pour moi. »
Il s’était agenouillé sur le coussin
vert de son prie-Dieu ; il demeura là, longtemps, ses mains maigres
enserrant son petit front ridé.
III
LE CHEMIN DE PARIS
Qu’il sonnait clair, sous le fer des
chevaux, le sol des routes françaises ! Quelle musique heureuse produisait
le crissement du gravier ! Et l’air qu’on respirait, l’air léger du matin
traversé de soleil, quel merveilleux parfum, quelle merveilleuse saveur il
possédait ! Les bourgeons commençaient à s’ouvrir, et de petites feuilles
vertes, tendres et plissées, venaient chercher pour une caresse le front des
voyageurs jusqu’au milieu du chemin. L’herbe des talus et des prés
d’Ile-de-France était moins riche, moins fournie, sans doute, que l’herbe
d’Angleterre ; mais pour la reine Isabelle, c’était l’herbe de la liberté,
enfin, et de l’espérance.
La crinière de la jument blanche
ondulait au rythme de la marche. Une litière, portée par deux mules, suivait à
quelques toises. La reine trop heureuse, trop impatiente pour rester enfermée
dans cette balancelle, avait préféré monter sa haquenée ; pour un peu,
elle eût galopé dans les herbages !
Boulogne, où elle s’était mariée
quinze ans auparavant, Montreuil, Abbeville, Beauvais, avaient été les haltes
de son voyage. Elle venait de passer la nuit précédente à Maubuisson, près de
Pontoise, dans le manoir royal, où, pour la dernière fois, elle avait vu son
père Philippe le Bel. Sa route était comme un pèlerinage à travers son propre
passé. Il lui semblait remonter les étapes de sa vie pour revenir au départ.
Mais quinze années malheureuses se pouvaient-elles abolir ?
— Votre frère Charles l’aurait
sans doute reprise, disait Robert d’Artois qui cheminait à côté d’elle, et il
nous l’aurait imposée pour reine, tant il continuait de la regretter et tant il
montrait peu de décision au choix d’une nouvelle épouse.
De qui parlait Robert ? Ah
oui ! De Blanche de Bourgogne. Il en parlait à cause de Maubuisson où,
tout à l’heure, une cavalcade composée d’Henry de Sully, de Jean de Roye, du
comte de Kent, de Lord Mortimer, de Robert d’Artois lui-même et de toute une
troupe de seigneurs, était venue accueillir la voyageuse. Isabelle avait
éprouvé un grand plaisir à se sentir de nouveau traitée en reine.
— Je crois que Charles,
vraiment, prenait quelque plaisir secret à caresser les cornes qu’elle lui
avait plantées, continuait Robert. Par malheur, par bonheur plutôt, la douce
Blanche, l’année avant que Charles devînt roi, se fit engrosser en prison, par
le geôlier !
Le géant chevauchait à gauche, du
côté du soleil, et, monté sur un immense percheron pommelé, il portait de
l’ombre sur la reine. Celle-ci poussait sa haquenée, s’efforçant de rester dans
la lumière. Robert discourait sans trêve, tout à l’enthousiasme de la
retrouvaille, et cherchant, dès ces premières lieues, à renouer les liens du
cousinage et d’une ancienne amitié.
Isabelle ne l’avait pas revu depuis
onze ans ; il avait peu changé. La voix était toujours la même, et
toujours la même aussi cette odeur de gros mangeur de venaison que son corps
dégageait dans l’animation de la marche et que la brise portait autour de lui
par bouffées. Il avait la main rousse et velue jusqu’à l’ongle, le
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