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La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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du comte de Valois pour assurer l’élection d’un cardinal
français ? En vérité, ce fut de l’argent placé à bon intérêt !
    Bouville s’attendrissait toujours
sur ses souvenirs. Il revoyait cette prairie brumeuse dans la campagne, au nord
d’Avignon, ce pré du Pontet, et le curieux entretien qu’ils avaient eu, tous
deux assis sur une murette.
    — Oui, je me rappelle, Très
Saint-Père, dit-il. Savez-vous que lorsque je vous vis approcher, ne vous ayant
jamais rencontré, je crus qu’on m’avait trompé, que vous n’étiez pas cardinal,
mais un tout jeune clerc qu’un prélat avait déguisé pour l’envoyer à sa
place ?
    Le compliment fit sourire le pape
Jean. Lui aussi se rappelait.
    — Et ce jeune Siennois, Guccio
Baglioni, qui travaillait dans la banque et vous accompagnait alors, qu’est-il
devenu ? demanda-t-il. Vous me l’avez ensuite envoyé à Lyon, où il me fut
fort utile, pendant le conclave muré. J’en avais fait mon damoiseau.
J’imaginais le voir reparaître. Il est bien le seul qui m’ait rendu un service
autrefois et qui ne soit pas venu quêter une grâce ou une charge !
    — Je ne sais, Très Saint-Père,
je ne sais. Il est reparti pour son Italie natale. Moi non plus je n’en ai plus
jamais reçu nouvelles.
    Mais Bouville s’était troublé pour
répondre, et ce trouble n’avait pas échappé au pape.
    — Il avait eu, si je me
souviens bien, une mauvaise affaire de mariage, ou de faux mariage, avec une
fille de noblesse qu’il avait rendue mère. Les frères le poursuivaient.
N’est-ce pas cela ?
    Ah ! Certes, le Saint-Père
disposait d’une terrible mémoire !
    — Je suis surpris vraiment,
insistait-il, que ce Baglioni, protégé par vous, protégé par moi, et exerçant
le métier d’argent, n’en ait pas profité pour faire sa fortune. Cet enfant
qu’il devait avoir, est-il né ? A-t-il vécu ?
    — Oui, oui, il est né, dit
hâtivement Bouville. Il vit quelque part en campagne, auprès de sa mère.
    Il montrait de plus en plus de gêne.
    — On m’a dit, qui donc m’a
dit ?… poursuivit le pape, que cette même demoiselle, ou dame, avait été
nourrice du petit roi posthume qui vint à Madame Clémence de Hongrie pendant la
régence du comte de Poitiers. Est-ce bien cela ?
    — Oui, oui, Très Saint-Père, je
crois que c’est elle.
    Un frémissement passa dans les mille
rides qui grillageaient le visage du pape.
    — Comment, vous croyez
bien ? N’étiez-vous pas curateur au ventre de Madame Clémence ? Et au
plus près d’elle quand le malheur de perdre son fils lui survint ? Vous
deviez bien savoir qui était la nourrice ?
    Bouville se sentit devenir pourpre.
Il aurait dû se méfier quand le Saint-Père avait prononcé le nom de Guccio
Baglioni, et se dire qu’une intention se cachait derrière ce souvenir. Le
détour était un peu plus habile que les siens propres, lorsqu’il passait par le
concile de Valladolid pour en arriver aux finances du comte de Valois. D’abord,
le Saint-Père devait sûrement avoir des nouvelles de Guccio, puisque ses
banquiers, les Bardi, travaillaient avec les Tolomei de Sienne.
    Les petits yeux gris du pape ne
quittaient pas les yeux de Bouville, et les questions continuaient :
    — Madame Mahaut d’Artois a eu
un gros procès où vous avez dû témoigner ? Qu’y a-t-il eu de vrai, cher
sire comte, dans cette affaire ?
    — Oh ! Très Saint-Père,
rien que ce que la justice a éclairé. Des malveillances, des propos rapportés
dont Madame Mahaut a voulu se laver.
    Le repas touchait à sa fin et les
écuyers, passant les aiguières et les bassins, versaient l’eau sur les doigts
des convives. Deux chevaliers nobles s’approchaient pour tirer en arrière le
siège du Saint-Père.
    — Sire comte, dit celui-ci,
j’ai été bien heureux de vous revoir. Je ne sais, vu mon grand âge, si cette
joie me sera accordée une autre fois…
    Bouville, qui s’était levé, respira
mieux. L’instant des adieux semblait arriver, qui allait mettre un terme à cet
interrogatoire.
    — … Aussi, avant votre
départ, reprit le pape, je veux vous faire la plus grande grâce que je puisse
accorder à un chrétien. Je vais vous entendre moi-même en confession.
Accompagnez-moi dans ma chambre.
     

II

LA PÉNITENCE EST POUR LE SAINT-PÈRE
    — Péchés de chair ?
Certainement, puisque vous êtes homme… Péchés de gourmandise ? Il suffit
de vous voir ; vous êtes gras… Péchés

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