La Louve de France
était surprise de ne pas se rappeler la cicatrice
blanche qui ourlait la lèvre inférieure.
— Êtes-vous toujours aussi
chaste, ma belle cousine ? demanda brusquement Robert d’Artois.
La reine Isabelle rougit et leva
furtivement les yeux vers Roger Mortimer comme si la question la mettait un peu
en faute déjà, et de façon inexplicable, à son égard.
— J’y ai bien été forcée,
répondit-elle.
— Vous souvenez-vous, cousine,
de notre entrevue de Londres ?
Elle rougit davantage. Que lui
rappelait-il là, et qu’allait penser Mortimer ? Un moment d’abandon lors
d’un adieu… pas même un baiser, seulement un front qui s’appuie contre une
poitrine d’homme et qui cherche un refuge… Robert y pensait-il donc encore,
après onze ans ? Elle en fut flattée, mais nullement émue. Avait-il pris
pour l’aveu d’un désir ce qui n’était qu’un moment de désarroi ?
Peut-être, en effet, ce jour-là, mais ce jour-là seulement, si elle n’avait pas
été reine, s’il n’avait pas été si pressé de repartir pour dénoncer les filles
de Bourgogne…
— Enfin, s’il vous vient à
l’idée de changer de coutume… insistait Robert d’un ton gaillard. J’ai
toujours, en pensant à vous, comme le sentiment d’une créance non encaissée…
Il s’arrêta net, ayant croisé le
regard de Mortimer, un regard d’homme prêt à tirer l’épée s’il en entendait
davantage. La reine perçut cet affrontement et, pour se donner contenance,
caressa la crinière blanche de sa jument. Cher Mortimer ! Qu’il y avait de
noblesse et de chevalerie en cet homme-là ! Et comme l’air de France était
bon à respirer, et comme cette route était belle, avec ses clartés et ses
ombres !
Robert d’Artois avait un
demi-sourire d’ironie coincé dans la graisse de ses joues. Sa créance, selon
l’expression qu’il avait employée et qu’il avait crue délicate, il n’y devait
plus songer. Il était certain que Lord Mortimer aimait la reine Isabelle et
qu’Isabelle aimait Mortimer.
« Eh bien ! pensa-t-il,
elle va s’amuser, la bonne cousine, avec ce templier. »
IV
LE ROI CHARLES
Il avait fallu près d’un quart
d’heure pour traverser la ville depuis les portes jusqu’au palais de la Cité.
Les larmes vinrent aux yeux de la reine Isabelle lorsqu’elle mit pied à terre
dans la cour de cette demeure qu’elle avait vu édifier par son père, et qui
déjà avait reçu la légère patine du temps.
Les portes s’ouvrirent en haut du grand
escalier, et Isabelle ne put s’empêcher d’attendre le visage imposant, glacial,
souverain, du roi Philippe le Bel. Que de fois avait-elle ainsi contemplé son
père, au sommet des marches, s’apprêtant à descendre vers sa ville ?
Le jeune homme qui apparut en cotte
courte, la jambe bien prise dans des chausses blanches, et suivi de ses
chambellans, ressemblait assez par la taille et les traits au grand monarque
disparu, mais aucune force, aucune majesté n’émanait de sa personne. Il n’était
qu’une pâle copie, un moulage de plâtre pris sur un gisant. Et néanmoins, parce
que l’ombre du Roi de fer demeurait présente derrière ce personnage sans âme et
parce que la royauté de France s’incarnait en lui, Isabelle voulut, par trois
ou quatre fois, s’agenouiller ; et chaque fois son frère la retint par la
main en disant :
— Bienvenue, ma douce sœur,
bienvenue.
L’ayant forcée à se relever, et
toujours lui tenant la main, il la conduisit jusqu’au cabinet assez vaste où il
se tenait habituellement, s’informant des détails du voyage. Avait-elle été
bien reçue à Boulogne par le capitaine de la ville ?
Il s’inquiéta de savoir si les
chambellans veillaient au bagage et recommanda qu’on ne laissât pas choir les
coffres.
— Car les étoffes se froissent,
expliqua-t-il, et j’ai bien vu, dans mon dernier déplacement de Languedoc,
combien mes robes s’étaient gâtées.
Était-ce pour cacher une émotion,
une gêne, qu’il accordait son attention à cette sorte de soucis ?
Quand on fut assis, Charles le Bel
dit :
— Alors, comment ce vous va, ma
chère sœur ?
— Ce me va petitement, mon
frère, répondit-elle.
— Quel est l’objet de votre
voyage ?
Isabelle eut une expression de
surprise peinée. Son frère n’était-il donc pas au courant ? Robert
d’Artois, qui avait suivi ainsi que les principaux seigneurs de l’escorte,
adressa à Isabelle un regard qui
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