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La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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Monseigneur Charles de Valois ; et puis Monseigneur
Charles est mort. Ah ! que ce baron-là eût fait un bon roi !
    Pierre de Cressay, le cadet, est
resté plus mince et plus pâle, mais ne soigne guère davantage sa mise. Sa vie
est un mélange d’indifférence et de routine. Ni Jean ni Pierre ne s’est marié.
Leur sœur veille au ménage, depuis la mort de leur mère, dame Eliabel ;
ils ont ainsi quelqu’un pour assurer leur cuisine, réparer leur gros
linge ; et contre Marie ils peuvent s’emporter à l’occasion, plus aisément
qu’ils n’oseraient le faire envers une épouse. Si leurs chausses sont
déchirées, il leur est toujours loisible de tenir Marie pour responsable de ce
qu’ils n’ont pas trouvé femme à leur convenance, à cause du déshonneur par elle
jeté sur la famille.
    À cela près, ils vivent dans une
aisance limitée grâce à la pension que le comte de Bouville fait régulièrement
servir à la jeune femme sous le prétexte qu’elle fut nourrice royale, et grâce
aussi aux cadeaux en nature que le banquier Tolomei continue d’envoyer à celui
qu’il croit son petit-neveu. Le péché de Marie a donc pour les deux frères été
de quelque avantage.
    Pierre connaît à Montfort-l’Amaury
une bourgeoise veuve qu’il va visiter de temps à autre, et ces jours-là, il
fait toilette avec un air coupable. Jean préfère ne chasser qu’en ses labours,
et se sent seigneur à peu de frais parce que quelques gamins, dans les hameaux
voisins, ont déjà sa tournure. Mais ce qui est honneur pour un garçon de
noblesse est déshonneur pour une fille noble ; cela se sait, il n’y a pas
à y revenir.
    Les voilà tous deux bien surpris,
Jean et Pierre, de voir leur sœur atournée de sa robe de soie, et Jeannot
trépignant, parce qu’on le débarbouille. Est-ce donc jour de fête, dont la
mémoire leur a manqué ?
    — Guccio est à Neauphle, dit
Marie.
    Et elle recule, parce que Jean serait
bien capable de lui envoyer un soufflet.
    Mais non, Jean se tait ; il
regarde Marie. Et Pierre de même, les bras ballants. Ils n’ont pas la cervelle
modelée pour l’imprévu. Guccio est revenu. La nouvelle est de taille et il leur
faut quelques minutes pour s’en pénétrer. Quels problèmes cela va-t-il leur
poser ?… Ils aimaient bien Guccio, ils sont forcés d’en convenir,
lorsqu’il était compagnon de leurs chasses, qu’il leur apportait des faucons de
Milan ; ils ne voyaient pas que le gaillard faisait l’amour à leur sœur,
presque sous leur nez. Puis ils ont voulu le tuer quand dame Eliabel a
découvert le péché au ventre de sa fille. Puis ils ont regretté leur violence
après qu’ils eurent visité le banquier Tolomei en son hôtel de Paris, et
compris, mais trop tard, qu’ils eussent mieux préservé leur honneur à laisser
leur sœur s’éloigner mariée à un Lombard qu’à la garder mère d’un enfant sans
père.
    Ils n’ont guère longtemps à
s’interroger car le sergent d’armes à la livrée du comte de Bouville, trottant
un grand cheval bai et portant cotte de drap bleu dentelée autour des fesses,
entre dans la cour du manoir qui se peuple aussitôt de visages ébaubis. Les
paysans mettent le bonnet à la main ; des têtes d’enfants surgissent des
portes entrebâillées ; les femmes s’essuient les mains à leur tablier.
    Le sergent vient délivrer deux
messages au sire Jean, l’un de Guccio, l’autre du comte de Bouville lui-même.
Jean de Cressay a pris la mine importante et hautaine de l’homme qui reçoit une
lettre ; il a froncé le sourcil, avancé les lèvres en lippe à travers sa
barbe et ordonné d’une voix forte qu’on fasse boire et manger le messager,
comme si celui-ci venait de fournir quinze lieues. Puis il se retire auprès de
son frère, pour lire. Ils ne sont pas trop de deux ; il leur faut même
appeler Marie qui sait mieux déchiffrer les signes d’écriture.
    Et Marie se met à trembler,
trembler, trembler.
     
    — Nous n’y comprenons mie,
messire. Notre sœur s’est soudain mise à trembler, comme si Satan en propre
personne avait surgi devant elle, et elle a refusé tout net de même vous
entrevoir. Aussitôt ensuite, elle fut secouée de gros sanglots.
    Ils étaient bien embarrassés, les
deux frères Cressay. Ils avaient fait brosser leurs bottes, et Pierre avait
revêtu la cotte qu’il ne mettait d’ordinaire que pour aller visiter la veuve de
Montfort. Dans la seconde pièce du comptoir de Neauphle,

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