La lumière des parfaits
En revanche, l’évêque de Sarlat la soupçonne de faire partie de la confrérie des Frères et Sœurs du Libre Esprit. Une déviance hérétique ! Qu’en pensez-vous ?
— Votre Éminence, je ne suis ni référant de tranquillité ni délateur, et n’entends point déroger à ce principe, répondis-je, comme si cela allait de soi.
— Peu importe, nous le savons. Nous avons déjà saisi un étrange document à l’intérieur d’une couverture à ais de bois d’un codex. Un parchemin incompréhensible. Probablement écrit de secrète manière, selon un code qui n’est, à croire nos clercs les plus érudits, ni celui utilisé par l’empereur César, ni celui qu’affectaient les frères templiers, connu sous le nom de code Atsah. Personne ne semble en mesure d’en découvrir la clef. »
À ces mots, mon sang se glaça. Je l’avais découverte, cette clef, après de longues journées de recherche. Lorsque le baron de Beynac m’avait confié la place forte de Commarque en qualité de capitaine de céans. Je détournai la conversation :
« Connaissez-vous le nom des autres témoins, votre Éminence ?
— Oui, et d’aucuns devraient vous surprendre…
— Je crains plus mes amis que mes ennemis. Peu de choses peuvent me surprendre. Mais, votre Éminence, qu’en est-il de mon épouse et de sa sœur ?
— Les principaux chefs d’accusation formulés à l’encontre de votre épouse sont de préparer des compositions médicinales à base de plantes comme la ciguë ou la mandragore et autres herbes hallucinogènes ou nocives, considérées comme diaboliques. Le grand philosophe Socrate en est mort pour avoir été contraint d’en ingurgiter…
— À forte dose, puisqu’il avait été condamné à mort ! Tout dépend des dosages, et je sais que Marguerite pèse chaque composition sur un trébuchet aussi précis que celui qui est utilisé pour l’affinage des monnaies. Au millième !
–… et de s’être livrée à des travaux d’autopsies répréhensibles sur le corps d’animaux.
— J’y vois là grande piperie. Le recteur-chancelier de l’université de Montpellier m’a dit que les maîtres physiciens s’y adonnaient régulièrement en la faculté de médecine ! Et quels crimes p-r-é-c-i-s reproche votr… le tribunal de l’inquisition à ma sœur, votre Éminence ?
— J’allais y venir, mais n’y parviendrai pas si vous m’interrompez sans cesse. Votre sœur a soutenu l’idée des effets d’une conjonction des astres et des planètes pour expliquer l’arrivée de la pestilence. Une thèse qui n’était pas reconnue par les astrologues du Vatican.
— La connaissance du mouvement des étoiles et des astres remonte à Ptolémée !
— Il lui est en outre reproché de s’être livrée à des rapports charnels avec un chevalier de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Un cas de fornication aggravé, hors les liens du mariage.
— Et vous, votre Éminence ? Croyez-vous à toutes ces sornettes ? Des sornettes qui peuvent les conduire sur le bûcher ? » me révoltai-je.
Il me lança un regard cinglant de reproches. Je ne baissai pas les yeux, les joues en feu ; il s’adoucit.
« En ce qui concerne la pratique de l’autopsie, nous avons mené une contre-enquête. L’autopsie était jusqu’alors interdite par le droit canonique pour ce qu’elle nuirait à l’intégrité du corps des défunts. Mais elle a été autorisée par le pape Clément lui-même, après que le Mal noir ait atteint et particulièrement affecté la cité papale en mars de l’an de grâce 1348. Alors, s’être livrée à quelques travaux d’autopsie sur des grenouilles, susurra-t-il… Ce chef d’accusation est donc invalidé.
« Quant aux savants mélanges de plantes destinées à soulager des fièvres, il est reconnu ici même, par les apothicaires et les mires de la cour pontificale. Le frère Durand Salvar n’avait pas vérifié les dosages prescrits par votre épouse. Ce chef d’accusation est donc, lui aussi invalidé. »
Je respirai profondément, reprenant enfin espoir. Le cardinal en vint aux griefs reprochés à ma sœur Isabeau.
« En ce qui concerne votre sœur, le prieur des Carmes de la place Maubert en la capitale avait fait, à l’époque, écho aux doctes physiciens du collège, des mires et des astronomes de la Sorbonne.
« Nous avons retrouvé son témoignage dans notre librairie pontificale, ici, en Avignon. La plus riche librairie
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