La lumière des parfaits
l’émotion. Il ne me répondit pas, mais poursuivit :
« Hérésie et sorcellerie sont des crimes de lèse-majesté divine ; elles incitent à la division du corps mystique de l’Église, sont considérées comme actes de révolte contre l’ordre divin. Des actes contre nature.
« Les accusées ont eu connaissance des charges qui leur étaient reprochées. Elles ont joui du droit de parole et de la possibilité de se défendre. Mais elles ont juré sur les Évangiles, en présence de deux membres du tribunal et d’un clerc assermenté qui a rédigé les minutes dont nous avons pris connaissance. Les accusées ont reconnu les fautes qui leur étaient reprochées, permettant ipso facto d’atteindre une vérité complète et absolue.
— Après les avoir soumises à la question ! persiflai-je, éplapourdi par un discours qui ne m’apprenait que les épouvantables tourments qui avaient été infligés à Marguerite et à Isabeau, et auxquels le cardinal semblait indifférent.
— Votre Éminence, veuillez me permettre de prendre congé. J’ai quelques dispositions à prendre. Elles ne sauraient attendre ! » m’étranglai-je, à deux doigts de lui serrer le cou. Guillaume d’Aigrefeuille me retint par le bras et… me souriant :
« Allons, messire Brachet de Born, ne soyez pas outrecuidé !
— Outrecuidé ? Que nenni, votre Éminence. Si vos Inquisiteurs veulent des coupables, il me paraît clair qu’ils n’ont que faire de deux innocentes ! Dans ce procès, il y a diablerie, vouerie, piperie, et ne saurais m’y résigner, votre Honneur ! » persiflai-je, les yeux enflammés par l’esprit du Dieu du Bien. Ou par le souffle du Diable. Je ne savais.
À cet instant, le frère de feu l’Aumônier général de la Pignotte mit sous son nez un petit bouquet de violettes, le symbole de l’amour et de la fidélité. Ce parfum subtil, surprenant en cette saison, m’exorcisa. Pris tout à trac, sans vert, il m’avait gelé le bec. Je le regardai, étonné.
Appuyant la pression sur mon bras, m’invitant à marcher d’un pas lent et serein autour du cloître, il me dit simplement :
« Messire chevalier, votre épouse et votre sœur, pour être revenues sur leurs aveux, ont été déclarées relaps. De ce fait, elles devraient être remises au bras séculier et purifiées par le feu. J’ai toutefois une bonne nouvelle. J’ai diligenté une enquête sur leurs délateurs.
« Les documents que vous m’avez remis ont été d’une grande utilité. Mais la Pénitencerie peut difficilement casser le jugement qui devrait être prononcé dans le mois qui vient. On ne casse un tel jugement ni ne peut faire appel de lui devant le Saint-Office, dont les Inquisiteurs relèvent pourtant. Sauf à découvrir une faille de procédure…
— Je ne comprends pas, votre Éminence. Ne m’avez-vous pas dit que la procédure inquisitoriale avait été scrupuleusement respectée ?
— Si fait. En revanche les délateurs ont produit des témoignages entachés d’irrégularités graves. Des vices de forme que le tribunal ignorait.
— Les délateurs ? Quels délateurs ?
— Bertrand, je ne suis point obligé, que dis-je, il m’est interdit par la Règle de révéler leurs noms.
— La Règle ? Laquelle ? Celle de Bernard Guy ou celle de Nicolas Eymerich ?
— Ne rejetez pas les doctes traités de ces grands théologiens tout à trac. La Pénitencerie accueille actuellement frère Eymerich. Nous lui avons soumis l’instruction du procès. Sa réponse a été claire, formelle, catégorique.
–…… ? » J’en frémis incontinent.
« Les accusées, invitées à répondre à chacune des charges qui leur étaient reprochées, pouvaient proposer des témoins capables de se porter garants de leurs allégations, enchaîna-t-il.
« Elles ont refusé de faire citer à comparaître quiquionques pour leur défense ; pour des raisons qui m’échappent, mais que je pressens. »
Le cardinal se signa et, tout en marchant, me reprit le bras.
Tous les sens à l’arme, je bouillais d’impatience et, alors que j’étais sur le point de l’interrompre, il s’arrêta, se tourna vers moi, pour me dire :
« Les documents que vous m’avez remis concernant l’épouse de feu le baron Fulbert Pons de Beynac, présentement mariée à messire Hélie de Pommiers, capitaine d’armées d’icelui château, sont authentiques.
« Éléonore de Guirande n’a pas d’existence légale !
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