La lumière des parfaits
demain, à tierce, par une dame de ma compagnie. Prenez bon repos cette nuit. Et puisse votre sommeil n’être point trop agité… » roucoula-t-elle en me lançant un dernier regard lourd de sous-entendus. La belle garce aimait jouer au chat et à la souris. Avec mes nerfs.
Le lendemain matin, les équipages étaient partis à une nouvelle chasse à courre, pour le plus grand plaisir des invités. Le château était désert, si l’on ne comptait pas les domestiques et les gens d’armes.
Tierce n’avait pas sonné que l’on m’avait conduit en la librairie de la comtesse. Icelle m’attendait déjà, revêtue ce jour d’une simple robe couleur terre de Sienne, sans fard ni coiffe, les cheveux noués en un chignon tenu par une broche en or. Son corsage lacé mollement me permit d’espincher la naissance d’une gorge généreuse. Elle était d’une grande et sensuelle beauté à se faire pâmer un eunuque. Mais eunuque, je n’étais point.
Lorsqu’elle me tourna le dos pour saisir un codex, passant outre à toute retenue, au risque de recevoir une gifle bien sentie et de brûler mon âme en état de péché mortel, je l’enlaçai tendrement mais fermement des deux bras, sous le corsage, en posant une joue bien rasée contre la sienne.
Elle rejeta la tête en arrière, m’invitant à resserrer mon étreinte et, plaquant son corps contre le mien, elle me tendit ses lèvres. Elles étaient chaudes et fraîches à la fois, douces et délicieusement humides. Pendant près de deux heures, la porte verrouillée à double tour, dans le silence du feu qui ronronnait dans la petite cheminée, nous nous abouchâmes en nous livrant à des ébats torrides et dénudés. Ses nasches, ses mamelles avaient la ferme rondeur de la jeunesse et son corps, la souplesse d’un roseau.
Lorsque ma fougue osait brûler les étapes d’un parcours libidineux, elle calmait mon ardeur par le geste pour la réveiller aussitôt de lascive façon. Nous n’échangeâmes pas un mot sur nos ébats oniriques de la veille, ni sur les subterfuges qui avaient été utilisés pour assoupir ma vigilance. Nos corps à l’unisson chantaient juste la mélodie d’un amour impossible, d’une brûlante passion charnelle que nous ne savions que trop éphémère. Ô, qu’elle fut délicieuse la brûlure du remords…
Je n’eus pas à user des vessies de porc que Marguerite avait glissées dans mon bissac avant mon départ. La comtesse Mathilde m’avait avoué être stérile et son mari rendu impuissant, à la suite d’une blessure qui lui avait sectionné la mécanique de son appendice.
« Il n’est pas dupe de notre manège. Mais, il compatit et préfère que je prenne plaisir charnel à m’emmistoyer avec un gentilhomme de passage qu’avec un soudoyer de sa garde… Vous êtes le premier à m’avoir servie… de si courtoise et généreuse manière ! Primum inter pares . »
« À présent, messire Bertrand, mon tendre ami, prenez votre temps pour trouver ce que vous cherchez en cette librairie. Usez à loisir des parchemins et du nécessaire pour consigner vos études sur cette écritoire. »
Joignant le geste à la parole, elle alluma les bougies d’un grand chandelier à l’aide d’un brûlot qu’elle avait extrait de l’âtre que l’on affouait chaque jour pour éviter qu’une trop forte humidité ne ternisse les enluminures ou ne pourrissent parchemins et cuirs des couvertures.
« Conservez la clef et revenez aussi souventes fois qu’il vous plaira jusqu’à la fin de votre séjour parmi nous. Un sergent d’armes accompagnera le page qui veillera à maintenir le feu en vie, toutes les deux heures.
— Comment puis-je vous remercier, comtesse, pour tant de bonté à mon égard ?
— En fredonnant quelques poèmes de votre cru en ce cabinet.
Et en pensant à moi. Mais onques, ne m’oubliez ! Nous nous reverrons sans doute un jour… à la reverdie. Ou sous la neige. Si le Dieu du Bien nous le permet ! »
Ce furent les dernières paroles que nous échangeâmes dans l’intimité, avant qu’elle ne s’esbignât dans un froissement d’étoffes.
« Si le Dieu du Bien nous le permet ! » J’en restai coi. Ainsi la comtesse aurait-elle nourri quelques secrètes affinités pour la cause des hérétiques albigeois ?
Consulter de nouveaux ouvrages avait toujours piqué ma curiosité et m’avait permis d’avancer à petits pas dans mes recherches. Cependant, ma présence en cette
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