La lumière des parfaits
j’éprouve une tendre affection, me comble plus par tous les codex qu’il tient à ma disposition en la librairie du château que par sa présence : il est plus épris de chasse que d’amour courtois… », me glissa-t-elle dans le creux de l’oreille en posant un bref instant ses doigts aux ongles finement vernis à la jointure des miens.
À leur contact, je me raidis, sans oser retirer ma main, mais non sans avoir jeté un coup d’œil à son mari, fort heureusement en grande conversation avec le chevalier de Montfort. La douceur de sa peau, la délicatesse de son geste, la blondeur cendrée de ses cheveux… Ce début d’érection qui tendait le haut de mes chausses sous le pourpoint… Par Saint-Thomas, était-ce Dieu possible ?
Je n’eus plus aucun doute lorsque sa main se posa sur ma cuisse au pli de l’aine et remonta très lentement jusqu’à ce que son auriculaire effleure un bref instant, à travers le tissu, le puissant et incontrôlable témoignage du développement de ma personnalité. Avant de se retirer. Avec regret, me sembla-t-il.
Pris sans vert, pour masquer mon trouble, je profitai incontinent de ses bonnes dispositions à mon égard pour lui demander si elle me ferait la grâce de me permettre l’accès à sa librairie. Elle se tourna aussitôt vers son mari, découvrant un cou long et fin sous la houppelande.
« Puisse notre ami ne point s’égarer dans la chambre des dames, s’esclaffa le comte ! Ce château est un véritable labyrinthe, peuplé de démons succubes et de chausse-trappes ! ironisa-t-il en se penchant vers moi, avant de marteler un pichet de son cotel de table et, s’adressant à l’assemblée, de déclarer :
« Messire Brachet de Born requiert mon accord pour frayer dans la librairie de mon épouse. Il souhaite s’instruire de nos us et coutumes ! »
Dames et damoiselles étouffèrent un rire nerveux, tandis que les chevaliers et les écuyers s’esbouffèrent à gorge déployée. Sauf ceux qui ne comprenaient pas notre langue. Mais la joie de leurs compains était contagieuse.
Je rougis jusqu’à la racine des cheveux et levai haut mon gobelet, plus pour masquer mon trouble que pour le remercier.
« Messire troubadour, puisque vous préférez la compagnie des livres plutôt que la nôtre, Dame Mathilde, ma tendre épouse, se fera certainement un plaisir de vous y conduire elle-même, demain matin, vers tierce, s’il lui plaît. Quant à nous, messires, demain à l’heure des laudes, nous partirons giboyer le cerf et le sanglier. Les sous-bois et les taillis en regorgent ! Que les nobles dames qui le souhaiteraient nous accompagnent. Elles chevaucheront les superbes haquenées qui piaffent déjà d’impatience dans nos écuries !
— Hourra ! Hourra ! clamèrent les convives. Longue vie au comte d’Œttingen ! Weidman’s heil !
— Oyez, oyez, mes gentils sires et vous, gentes dames ! J’exige toutefois que notre hôte nous chante à présent quelque poème à la façon des troubadours d’Aquitaine. Nos trouvères l’accompagneront à l’épinette et à la viole. »
Un tonnerre d’applaudissements salua cette initiative.
La comtesse avait remarqué la rougeur qui empourprait mes joues. Elle me sourit, mais se garda bien, cette fois, de reposer sa main sur la mienne. Ou ailleurs. Sous la nappe, par exemple.
Je ne suis, làs, qu’un simple vilain,
Promu par sire, mon châtelain,
Pour jeune écuyer devenir
Afin de noble cause, servir.
Les moines m’ont appris le latin,
En monastère, chaque matin.
Point sûr d’en être digne
De mériter ce noble signe,
Je m’engage sur foi et honneur.
À n’oublier à toute heure,
Ni celui qui reste mon seigneur,
Ni ceux qui permirent mon bonheur.
Pour arme, je n’ai que sinople
Et je pars vers Constantinople,
Pour tenter d’ouvrir le passage
À nos pèlerins les plus sages.
Je n’oublie pas l’amour de ma vie,
Mais combats l’ennemi pour ma mie Et pour délivrer la sainte Croix
Des Infidèles sans foi ni loi
Si de terre sainte, je reviens
Avec grande gloire ou sans rien,
Havre de paix, de repos, d’amour,
Mamie, chez moi, trouvera toujours.
Je reste son humble serviteur,
Et rêve d’éviter grand malheur.
Qu’elle pardonne mes caresses,
Comme je comprends ses faiblesses.
Mes prières volent vers les cieux,
Car douce mie vaut l’or, à mes yeux.
Je n’ai que blason à anoblir,
Mais mon cœur est là, pour l’accueillir.
Je
Weitere Kostenlose Bücher