La lumière des parfaits
teutoniques, en représailles, avaient dévasté, l’été suivant, l’ouest de la Lituanie. Ils avaient capturé des milliers de païens. Ils avaient cependant libéré la plupart d’entre eux. Tout au moins ceux qui avaient accepté de recevoir le sacrement du baptême, après une sommaire instruction que les frères-prêtres leur avaient dispensée des principes de notre sainte religion.
Outre la défense militaire d’un immense territoire qui s’étendait de la basse vallée de la Vistule jusqu’au lac Peïpous et au golfe de Finlande, et qui contrôlait, outre la Prusse, la Livonie, l’Estonie et la Courlande au nord, la Pomérélie à l’ouest, la mission du Deutsche Ritterorden était aussi d’évangéliser et de convertir les païens de Samagotie et de Lituanie.
L’année suivante, en l’an 1349, en guise de représailles, les Lituaniens et les Russes avaient tenté une nouvelle chevauchée en Prusse et en Warmie. Sous le commandement de son prédécesseur, le grand maître Heinrich Dusemer von Arffberg, une armée teutonique réunie à la hâte, avait décompissé les envahisseurs sur la Strebe.
Au cours de la bataille, l’Ordre teutonique avait perdu cinquante chevaliers et quatre mil hommes de pied. Mais, sur le champ de bataille, plusieurs milliers de combattants ennemis, décharpis, gisaient sur le sol.
Les Teutons n’oubliaient pas les sanglantes chevauchées de leurs ennemis : campagnes ravagées, prêtres et fidèles massacrés, le commandeur de Sambie, Gerhard von Ruden, brûlé vif sur son cheval au cours d’une cérémonie à la gloire des dieux païens. Avec parfois l’aide ambiguë, voire la complicité de Casimir, troisième du nom, roi d’une Pologne pourtant profondément chrétienne, mais inquiète de la puissance grandissante de l’Ordre teutonique, et qui n’avait de cesse de reprendre la Pomérélie.
Prusse et Livonie étaient deux provinces de combat, mais l’Ordre possédait aussi de nombreuses commanderies isolées et regroupées en sept provinces de paix : en Allemagne, en Autriche, en Bohème, en Hongrie, en Lotharingie et en Bourgogne, en Italie et en Poméranie. Et des biens fonciers reçus en donation dans les diocèses de Chartres, de Nevers et de Troyes par Saint Louis et par des chevaliers, en reconnaissance des soins qu’ils avaient reçus dans les établissements hospitaliers lors de leur séjour en Terre sainte.
Le grand maître de l’Ordre avait rang de prince du Saint Empire romain germanique. Il était protégé, depuis Frédéric Barberousse, par les empereurs qui s’opposaient fréquemment au Saint-Siège, lui-même influencé par les rois de France depuis l’installation de la papauté en Avignon en l’an 1309.
Après une semaine de marche et avoir franchi environ quarante-cinq lieues à l’est de Marienburg, nous étions face à l’ennemi. Mais il était à présent enveloppé dans un voile de coton et la brume s’épaississait d’instant en instant. Elle recouvrait les blancs mantels des chevaliers d’un suaire blafard, dans un silence de mort. Devant nous, un lac gelé.
La veille au soir, alors que nous avions dressé un camp face à nos adversaires, un éclaireur avait mesuré l’épaisseur de la glace à l’aide d’un trépan virolé. Pendant la nuit, un vent de suroît avait soufflé et couvert les bosquets d’arbrisseaux et les quelques bouleaux chétifs et décharnés de la plaine d’un voile de plus en plus impénétrable, par vagues successives.
Une heure plus tôt, une légère dissipation des brouillâts nous avait permis d’entrevoir un échelon de cavalerie en position, à environ trois cents pas face à nous. Nous étions prêts à affronter leur charge. Puis le corps de bataille des Lituaniens s’était progressivement évanoui à mesure que le brouillard les avait enveloppés à nouveau, au point de se demander maintenant s’ils n’avaient pas relinqui l’estour pour nous affronter ailleurs ou plus tard, lorsque le temps leur paraîtrait plus propice pour engager le fer.
Un oiseau de mer surgit avec un cri d’effroi. Ses ailes claquaient comme des voiles lors d’un changement de cap. Il se maintint immobile, un court instant, puis s’abandonna et disparut en poussant un cri lugubre, lorsqu’il vit nos premières lignes de fervêtues rangées en ordre de bataille.
Ce brouillard, cet ennemi invisible… Une crainte ancestrale me nouait les tripes, sentiment que j’avais déjà connu à la veille de
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