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La lumière des parfaits

La lumière des parfaits

Titel: La lumière des parfaits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hugues De Queyssac
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céans, c’est moi qui donne les ordres ! Nous sortons de ce bourbier ensemble ou mourons ensemble ! N’est-ce pas la devise de l’Ordre : un pour tous, tous pour un ? »
    Mes pieds s’enfonçaient lentement, mais sûrement dans la vase, ou dans le sable, je ne savais ; l’impression était angoissante. Le dilemme aussi. Sauver ma vie ou périr avec lui ? Encore quelques instants, et je devrais abandonner le grand-maître à sa triste fin. Et subir le même sort. Car Éclat d’Orient ne tirait plus sur les rênes. Pour la troisième ou la quatrième fois de ma courte vie, j’implorai la Vierge de Roc-Amadour.
    Elle entendit ma supplique : une flèche décochée par ceux d’en face se ficha en sifflant devant mon destrier. Il se cabra de toute sa hauteur, rua et, les pieds au sec, en s’arc-boutant nous arracha pas à pas à la gangue.
     
    Winrich von Kniprode, cet homme habituellement caparaçonné dans une humeur aussi froide que la mer Baltique sous le poids des responsabilités considérables qui pesaient sur ses puissantes épaules, enleva son heaume, leva son visage vers moi, les yeux secs, la mâchoire serrée.
    L’eau glacée ruisselait le long de nos cottes d’armes qu’elle collait à notre haubert. À chaque pas, mes bottes gémissaient dans un bruit de succion. Ma joue allait-elle être honorée de l’empreinte noble et cuisante d’une gifle administrée à la volée par le grand maître d’un ordre religieux et militaire prestigieux ? Pour récréance sur le champ de bataille ? Par une de ces paires de claques dont m’avait autrefois gratifié mon compère, feu le baron Fulbert Pons de Beynac ?
    Sur le point de me faire méchante réprimande pour avoir désobéi à ses ordres, il se ravisa, ne m’aboucha point cependant. Il posa sur mon front un baiser de paix et me donna la colée, celle que se donnent les moines lors de l’office dominical…
    Émerveillable discipline que celle de ces hommes de fer, capables de tuer, de prier et de bénir !
    Sa main senestre était couverte de vermillon et la seule empreinte que ma joue reçut fut celle d’un sillon de sang : en se cramponnant à l’extrémité de ma lance, le fer à barbelure de l’arestuel avait percé les fines mailles du gantelet et entamé les chairs lorsque Éclat d’Orient nous avait péniblement hissés hors du marécage.
     
    Entre-temps, le maréchal de l’Ordre, dont le destrier avait fait un faux pas, avait évité le désastre. Il avait fait sonner la retraite à herle et donné l’ordre de relinquir le combat.
    Par grand malheur, la première ligne des chevaliers teutoniques avait lancé ses destriers au galop de charge et avait été engloutie à plus de deux cents pieds du rivage. Une dizaine de fiers chevaliers avaient péri. Leurs corps seraient-ils rendus un jour ? C’était peu probable, appris-je plus tard.
    À la reverdie, peut-être. Lorsque les marécages se seraient asséchés en partie, ils pourraient dégorger des lambeaux de tissu et quelques croix de sable pattées. Après s’être repus du corps des valeureux chevaliers et de leur chevaux.
    Cette image devait me hanter ma vie durant. Celle-ci. Et bien d’autres. Plus anciennes. Ou à venir.

    Pendant plus d’une semaine, le ciel passa du gris et de l’argent au noir d’encre. Mais l’orage n’éclatait pas.
    Ce dimanche, Foulques de Montfort et Raymond de Carsac avaient été invités avec d’autres chevaliers étrangers à une chasse au loup et au lynx, seule autorisée pour le bien de la collectivité, ces animaux étant considérés comme nuisibles. L’ours aussi ; mais l’ours était entré en hibernation.
     
    Je déambulais à quelques lieues de la forteresse, le long des dunes de la mer Baltique. Par moments, des tourbillons de sable brouillaient la ligne de l’horizon et étouffaient la plainte stridente des roseaux et des joncs. Les vagues s’effondraient avec fracas sur la grève, puis refluaient, découvrant des nappes sablonneuses. Le sable, balayé à travers l’espace et mêlé à l’écume, retombait en pluie qui fermait l’horizon incertain d’une brume épaisse.
    Goélands et mouettes tournoyaient avec d’affreux croassements au-dessus d’un désert de dunes et d’eau.
    Puis le ciel s’obscurcit de plus en plus. Quelques cygnes annonciateurs de neige et de tempête, au plumage sombre, le col tendu, plus nerveux et plus rapides que les oies sauvages, battaient des ailes si vite qu’ils donnaient

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