La lumière des parfaits
! » Il ne faudrait pas tuer les païens eux-mêmes, si on pouvait d’une autre manière les empêcher de trop inquiéter ou opprimer les fidèles. Mais pour le moment, la meilleure solution est de les tuer.
Extrait de La louange de la milice nouvelle, par Bernard de Clairvaux.
Chapitre 4
À Marienburg, des fêtes de Noël, entre les calendes de décembre et les nones de janvier, le lendemain de l’Épiphanie, en l’an de grâce MCCCLIIII {5} .
Pendant une quinzaine de jours, jusqu’à la veille de Noël, les jours et les nuits s’égrenèrent avec la monotonie des perles d’un chapelet : estours au poteau de quintaine, à la lance ou à l’épée, tir à l’arc et à l’arbalète, offices, dîners, soupers. Bœuf, mouton, légumes, poisson ou œufs le vendredi.
Mes compains redoutaient l’approche de l’Épiphanie, lorsque commencerait un des jeûnes propres à l’Ordre. Repas une heure et demie après sexte, légère collation le soir. Et toujours le dortoir où, fourbus, débaretés, les os brisés, nous avions fini par oublier le froid qui y régnait et les puissants ronflements des dormeurs.
Entre les heures du coucher et les matines, et entre les matines et les laudes où, par manque d’habitude, nous nous tramions hagards, le pas chancelant, le cheveu en grand désordre.
Sept impétrants furent adoubés chevaliers le jour de Noël. À la différence, paraît-il, de l’intronisation d’un frère dans l’Ordre du Temple, le rite était le même que celui que nous, laïcs, pratiquions : passer à confesse, veiller pendant une nuit de prières dans la chapelle jusqu’à la grand’messe.
En présence de leurs pairs, ils s’agenouillèrent devant le grand maître qui leur frappa l’épaule du plat de son épée avant que le maréchal de l’Ordre ne leur remit la leur préalablement bénie.
Une très belle cérémonie, ponctuée de chants liturgiques, clamés a capella par toute l’assemblée. Et pour finir, nous entonnâmes tous un Salve Regina à la gloire de la Vierge Marie, protectrice de l’Ordre, et un hymne à sainte Élisabeth de Hongrie, sa patronne. D’aucuns de ces rudes soldats avaient les yeux brillants.
Mais, point de ripailles pour le dîner. Un simple menu de carême. Pain sec, poisson et eau ! Nos écuyers et moi sortîmes du réfectoire les derniers et nous glissâmes avec moult précautions dans un bâtiment situé dans le prolongement, que nos hôtes nommaient le Vorburg.
Un bâtiment que nous avions repéré depuis plusieurs jours. Non point en raison de la présence des écuries qui abritaient plus de trois cents chevaux, des étables, des divers ateliers ou de l’armurerie. Mais parce que les magasins de vivres s’y trouvaient : nous avions gagné la complicité bienveillante de quelques frères-laïcs qui avaient compatis, non sans malice, à notre état d’infortune lors des jours de jeûne, trop fréquents à notre goût. Ils nous permirent quelques frisquetés.
Jusqu’au jour où Foulques de Montfort, éplapourdi et en grand courroux, nous y surprit et nous passa un savon qui n’avait rien de mol. En nous traitant de tous les noms qui lui vinrent à l’esprit. Et en feignant de nous botter le cul. À grand Haro. À la parfin, nous n’étions pas faits pour rentrer dans les ordres et n’étions pas prêts de prononcer les vœux de chasteté, de pauvreté et d’obéissance : nous récidivâmes notre expédition trois jours plus tard, après nous être assurés que Foulques disputait une de ses innombrables parties d’échecs avec les frères-chevaliers de la place.
Parties d’échecs, car les jeux de carte, de dés ou d’argent étaient interdits par la Règle. Un interdit de plus !
La veille de l’Épiphanie, le grand maître convoqua tous les frères-chevaliers et les croisés étrangers en la grand’salle du chapitre. Winrich von Kniprode venait d’apprendre par des espions que les Lituaniens s’apprêtaient une nouvelle fois à passer à l’attaque, rompant ainsi la paix fragile qui régnait depuis l’an 1344.
Sept ans plus tôt, quelques mois avant que nous ayons été boutés en trois jours hors la bonne ville de Bergerac par une armée ; anglaise et gasconne du comte de Derby et des maréchaux de son ost, une terrible bataille les avait opposé à une puissante armée lituanienne et russe dans la plaine d’Auken.
Les pertes avaient été considérables d’un côté comme de l’autre. Les chevaliers
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