La lumière des parfaits
l’impression de l’immobilité.
Ces funèbres pèlerins des mers arctiques profitèrent d’une nouvelle bourrasque pour rejoindre l’intérieur des terres.
À la table de mon grand festin,
J’avais invité tout un chacun Pour jouir de bon pain et de bon vin.
À cet appel, il n’en manquait qu’un.
Que diable ! Ne soyons point chiches,
Oublions ce mauvais Convive.
Ne sommes-nous pas plus riches
Que ce passeur sur l’autre rive ?
Sur le chemin de mon grand destin,
Je croyais conquérir le monde.
De ce monde, il ne reste rien,
Que poussière d’étoiles blondes.
À l’image du peuple scythe,
Je rêvais d’Alexandre le Grand
Dont m’enflammait la réussite
Déjà roi, à l’âge de vingt ans,
Au parfum de sable et d’0rient.
Au crépuscule de l’aurore,
J’ai grande soif de vie et de fin,
Car je crains et la vie et la mort.
Son souffle me caresse la main,
M’attire sur de sombres chemins
Qui me conduisent vers la parque,
0ù guerroient anges et diablotins
Au rythme des cloches de Pâques.
Dans le silence de tous les jours,
Je hurle d’angoisse et de tourments.
Dans le Bruit intérieur de mes nuits,
Je pleure colère et ressentiments
Pour le poids de fardeaux aussi lourds
Qui me révoltent bien que choisis.
Je me mis en selle pour regagner l’abri du Mittelschloss, au pas.
À l’approche d’un étang, un oiseau grisâtre s’envola, virevolta autour d’un bosquet de viornes et de bouleaux et se posa. Je crus reconnaître un râle noir, une espèce très sauvage. Des pluviers, splendides dans leur robe de cendre et d’or, tentèrent de regagner un abri plus sûr.
L’étang, muet auparavant, se couvrait maintenant de volatiles en rumeur : harles, poules d’eau, grèbes, sarcelles…
Un milan fondit sur des passereaux en grande effervescence. Faune et flore s’animaient sous les rafales de vent qui déchiraient ce paysage fort nouveau pour moi, si différent de tous ceux que j’avais connus jusqu’alors.
Soudain, des trombes d’eau s’abattirent sur mon destrier. Je lançai Éclat d’Orient au galop, à brides avalées en direction de la ligne noire d’une forêt de mélèzes.
Le véritable hiver ne tarderait pas à emprisonner les dunes dans une gangue de glace et de neige. Nos chevauchés contre les Lituaniens ne tarderaient pas à reprendre, pour peu que la température continuât de baisser.
À l’approche de la forteresse, l’ouragan se calma progressivement et les premiers flocons d’une neige ouatée recouvrirent la plaine. Nous étions le premier dimanche de l’an de grâce 1354, et je n’avais pas encore obtenu l’autorisation du grand maître pour accéder à la superbe librairie de l’Ordre.
J’avais pourtant grande hâte à consulter les nombreux ouvrages, codex et parchemins, susceptibles de confirmer ou d’infirmer certains aphorismes, certaines présomptions qui, aussi prégnantes fussent-elles, ne reposaient que sur de savantes ou chimériques déductions.
« Messire Bertrand ! m’interpella frère von Forstner en passant un bras autour de mes épaules, notre grand maître vous recevra demain matin après laudes.
— Ah ! Enfin ! Je vous vois en grande forme, chevalier, et ne sais comment vous remercier de votre intercession auprès du Hochmeister. Grâce à Dieu, vous n’avez pas péri lors de cette funeste charge !
— Trop loin, les frères servants et moi étions trop loin. Dans ce brouillard, des hauteurs où nous nous tenions, nous n’avons rien vu. Seulement entendu corner la retraite. Que le Christ-Roi accueille l’âme des malheureux qui ont été engloutis. Las, il nous arrive parfois semblable mésaventure. Parfois, je devrais dire trop souventes fois. Mais il ne m’appartient pas de donner mon avis. Ces maudits païens ravagent nos terres et massacrent les chrétiens. Nous devons les soumettre, les convertir ou leur appliquer la loi du talion.
— Par le Fer et par le Feu ! surenchéris-je.
— Par la Foi et par l’Épée, messire Bertrand, grabela-t-il. Mais, dites-moi ! Cette expédition pacifique sur nos rivages déchaînés vous a-t-elle éclairci les idées ?
— Le vent a chassé les idées noires. Je méditais sur la vie et sur la mort. Sur le passé et sur l’avenir. Ceux de mon épouse et de mes enfants.
— Ach, chez nous, nous parlons de Heimweh, le mal du pays…
— Mais comment diable savez-vous que j’ai déambulé sur les
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