La lumière des parfaits
fut amputée sur le champ de bataille.
Nos écuyers reçurent quelques navrures qui leur valut un court séjour en l’enfermerie du château. Pour leur plus grand plaisir : leurs blessures étant sans gravité, ils purent jouir de son confort douillet sans avoir à se faire surprendre par Foulques de Montfort, toujours aux aguets lorsque nous nous esclipions après un frugal repas, en direction des celliers…
Je n’eus à déplorer que trois lances brisées et quelques mailles de mon haubert qui avaient été disloquées par d’adroits coups de taille. Le frère qui faisait fonction de maître haubergier les avait remarquablement restaurées.
Éclat d’Orient, blessé à un tendon, avait été immobilisé par une atèle pendant un mois, jusqu’au jour où, ruant et se cabrant, il avait manifesté son intention de reprendre le combat.
Le dimanche 6 mars, le lendemain des nones, veille de notre départ pour le port de Dantzig où Carsac, Montfort, nos écuyers, nos valets d’armes et quelques pèlerins hollandais et allemands devions embarquer, nous fûmes reçus vers tierce par le grand maître, tous les dignitaires de l’Ordre, maréchaux et commandeurs, en présence des frères de tout rang, dans la grand’salle capitulaire du Mittelsburg. Avant de participer à la grand’messe célébrée dans l’église. Nous arborions tous nos armoiries sur nos surcots.
Le frère drapier, le Trapier, était venu spécialement d’Elbing où il résidait le reste du temps. Il était chargé de toutes les questions relatives à l’habillement et à l’équipement des frères, un économe en quelque sorte. Il nous fit remettre par le frère Spittler, le frère hospitalier, des chainses de caslin, des chausses de laine, des tabars confectionnés et brodés pendant notre séjour par les sœurs teutoniques du diocèse d’Utrecht, dans leurs établissements de Bun et de Shoten.
Le maître haubergier nous remit à chacun un haubergeon neuf reproduit à nos mesures, d’une légèreté et d’une finesse remarquable, et une dague à courts quillons obliques, incurvés vers la lame, forgée dans le plus pur acier de Solingen.
La lame était glissée dans un fourreau de cuir noir, renforcé aux extrémités. Le pommeau était serti sur les deux faces de cuivre et d’argent, la croix de sable pattée et alésée de l’Ordre incrustée sur l’avers et sur l’envers. La poignée était garnie d’un épais cuir pareillement noir, entrelacé de très fins fils d’argent torsadés qui assuraient une excellente prise en main.
À la suite de quoi, le chevalier von Forstner fut invité par le grand maître à s’avancer. Il portait un coussin écarlate sur lequel était brodée une croix : une Croix de sable pattée et alésée, chargée d’une croix d’or potencée et fleurdelysée et d’un écusson à une aigle de sable contournée, becquée et armée de gueules brochant sur le tout.
Les lys de France y étaient représentés aux extrémités de la croix d’or, en souvenir du roi Louis, notre saint roi. Lors du septième Pèlerinage de la Croix, en reconnaissance des très hauts faits d’armes des chevaliers de l’Ordre et des soins qu’ils avaient prodigués aux blessés et aux malades après la désastreuse bataille de Mansourah, il avait accordé au grand maître de l’Ordo sanctae Mariae Teutonicorum d’écarteler les armoiries à la croix de pattée, aux lys de France.
Ainsi qu’il l’avait fait, à la même époque, pour mon aïeul, Hugues Brachet de Born, post mortem , lorsqu’il avait donné sa vie pour le roi : d’Azur à trois lys d’argent.
Le Marshal de l’Ordre à la dextre du grand maître. Le Deutschmeister , le maître allemand et le Grosscomtur , maître provincial de Prusse, à sa senestre.
Frère von Forstner s’avança dans son blanc mantel vers le maréchal et se tint devant lui, puis se retourna vers l’assemblée.
« Messire Bertrand Brachet de Born, veuillez-vous avancer et vous agenouiller ! »
Abasourdi, j’obtempérai, mais ne pliai qu’un seul genou. Deux genoux devant Dieu, un seul devant le roi : Pro Dei, pro Rege, car telle était ma devise.
Le maréchal de l’Ordre tourna la tête vers le grand maître. Icelui approuva d’un imperceptible hochement, un sourire tout aussi fugace sur les lèvres. Commença alors une litanie. Je remarquai l’ordre subtil de sa hiérarchie et notai que le pape était cité en dernier. On laissait clairement
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