La lumière des parfaits
habituellement.
À la lumière des calels, je soulevai une chainse sagement pliée, posée sur un modeste coffre à vêtements, grossièrement charpenté dans un bois de sapin : un pendentif reposait entre les deux pièces d’étoffe. Un bijou plat, de forme conique, surmonté d’une croix et orné de huit perles en ses extrémités… Celui-là même que j’avais aperçu furtivement quelques jours plus tôt.
Mon cœur fit un bond. Un filet de sueur froide dégoulina le long de mon échine. Le souffle de plus en plus haletant, conscient un peu trop tardivement de la gravité de mon geste, je saisis la lanière. Elle serpenta entre mes doigts comme une vipère. Sans en craindre la morsure mortelle, je repliai le tout dans la main et quittai précipitamment le dortoir en heurtant une paillasse.
De retour en la librairie, l’horloge à bougie m’indiquait qu’une demie heure environ s’était écoulée depuis que frère Ludwig s’était rendu à complies.
Je fis coulisser l’échelle, me hissai prestement, dégageai soigneusement les codex qui masquaient le tabernacle, l’ouvris difficilement à l’aide de la clef qui se trouvait à l’intérieur d’un des codex, car une mécanique complexe, visible à l’intérieur de la porte, en rouillait la lourde serrure.
Lorsque je découvris le splendide chilindre de cuivre et d’or, je fus pris de vertigine. Le sang puisait dans ma poitrine, martelait mes oreilles à un rythme infernal. À la même vitesse qu’un roulement de tambour lors de l’exécution d’une peine capitale. Avant qu’il cesse. Et que la hache du bourreau ne s’abatte et ne décolle le chef du condamné à mort.
Je respirai à pleins poumons. Le pendentif à la croix du grand maître coulissa à merveille dans la fente de la petite serrure. Deux tours et le couvercle s’ouvrit. J’en extrayais un long rouleau de parchemin et, sans prendre le temps de le consulter, je refermai vivement chilindre et coffre, insérai la plus grosse des clefs dans son logement à l’intérieur du codex, remis les ouvrages à leur place, descendis l’échelle en prenant garde de ne pas glisser dans ma précipitation, la fit coulisser pour la repositionner à l’endroit où elle se trouvait. L’horloge à bougie indiquait que frère Ludwig serait de retour d’un moment à l’autre.
À l’instant où je tirai la couette sur moi, le rouleau du précieux parchemin sagement enroulé le long de mon flanc, la porte de la librairie s’ouvrit. Je n’eus pas le temps d’enlever mes gants de soie. Tout juste celui de fermer les yeux, de pousser un petit ronflement et de me tourner sur le côté en repliant les jambes dans la position d’une mère qui serait grosse et protègerait son enfant à naître.
Je sentis le souffle un peu enviné de frère Ludwig près de mon nez et craignis un court instant qu’il ne soulève la couverture. Mon crime, s’il était découvert, me conduirait inexorablement à une fin atroce. Par la hache, le col tranché, ou par la corde, les spondilles cervicales brisées. La mort par le col. Dans les deux cas.
Un peu tard, toutefois, pour prendre conscience des risques insensés que je venais de courir. Et encourrais jusqu’au jour de mon départ. Bien plus tard peut-être encore.
Je ne fis cependant pas de quauquemare pour la simple raison que je ne fermai pas l’œil avant matines. Avant que mon geôlier ne quitte la librairie pour se rendre dans la chapelle Saint-Laurent.
Je refis aussitôt le parcours dans un sens et dans l’autre pour remettre la clef du chilindre sous la chainse de caslin du Hochmeister et rejoindre la librairie. Il ne me restait plus qu’à prier le Ciel qu’il ne se soit pas rendu compte de sa disparition entre complies et matines et qu’il ne souhaite pas vérifier impromptu le contenu du chilindre. Je remis au lendemain la lecture du précieux parchemin et m’endormis d’un sommeil lourd de menaces.
Le lendemain soir, à complies, je dénouai fébrilement le ruban rouge qui entourait le parchemin, les mains agitées de tremblements.
J’eus un premier coup au cœur en découvrant le sceau, estampé à sec, du premier grand maître, fondateur de l’Ordre du Temple de Salomon, Hugo de Payens, sous les mots sigilum militum xristi, le sceau des soldats du Christ, représentant deux chevaliers en armes chevauchant le même cheval. Le même sceau que celui qui émargeait le document chiffré que j’avais découvert dans la
Weitere Kostenlose Bücher